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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 7.djvu/626

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gamme mate, ont la pureté du dessin, le relief du modelé. La femme nue, agenouillée, vue de profil, qui ressemble extrêmement, comme type de beauté, à la femme primitive du tableau des Poètes, est admirable. Le paysage, d’un vert tendre, avec des lointains bleuâtres et dégradés, est d’une fraîcheur et d’une virginité de touche incomparables. C’est la main d’un maître qui a signé cette toile.

II


À l’origine, l’œuvre de M. Paul Baudry au nouvel Opéra devait, assure-t-on, se borner à ces trois plafonds et à ces douze voussures, reliées entre elles par huit grandes figures de stature colossale représentant les Muses, exécutées en ronde bosse par quelque habile statuaire. C’est M. Paul Baudry qui a proposé de remplacer les figures sculptées en haut-relief par des figures peintes en feint-relief sur fond d’or. Le peintre a conçu ses muses dans de telles proportions qu’il a dû, pour qu’elles tinssent dans la voussure, les représenter assises. Droites ou inclinées, penchées en avant ou renversées en arrière, les Méonides sont toutes assises. Cette pose donne lieu à des lignes brisées, courbes, serpentines, variées à l’infini, qui ne se retrouveraient pas dans des figures debout, lesquelles auraient toute la rectitude de cariatides ou d’erréphores. Peut-être aussi en auraient-elles la majesté ; mais la majesté n’est pas ce qu’a cherché M. Baudry dans ses muses. Il n’a pas seulement fait d’elles des muses modernes, il a fait d’elles des muses parisiennes. On ne saurait regretter cette inspiration originale, puisque M. Baudry a réussi à peindre de belles figures qui marqueront dans l’histoire de l’art ; mais que ces muses soient des muses, c’est ce dont on peut douter. Les formes massives et grandioses de ces figures, conçues pour le corps dans le parti-pris de force et de grâce de l’Ève de Michel-Ange, sont dignes des marbres antiques, mais leur physionomie est toute contemporaine. On est plus accoutumé de la voir sous la voilette d’une jolie comtesse que sur le masque des statues grecques. Ces têtes-là sont plutôt créées pour sourire dans un salon aux galanteries et aux spirituels riens de la conversation moderne que pour inspirer de grandes œuvres et de grandes actions. Si charmantes que soient ces muses, peut-être M. Baudry eût-il obtenu un bien autre effet, s’il les eût peintes d’après les types consacrés. Ce qui est certain, c’est que celles de ses muses qui donnent l’impression la plus grande sont celles-là mêmes dans lesquelles on retrouve l’austérité des modèles antiques : l’archétype grec, d’une éternelle jeunesse, n’a pas besoin d’être ra-