Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 25.djvu/114

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de prison. » Mon père n’en revenait pas ; il embrassait le vieux serviteur de la famille, lui faisait mille questions et pleurait de joie. Pendant qu’un commissionnaire allait chercher une voiture de place qu’on ne pouvait trouver : « Prenez la mienne, lui dit de l’air le plus triste son inconnu de la diligence, prenez la mienne ; vous paraissez avoir des raisons d’être pressé ; moi, je ne le suis pas. » Mon père sauta dans la voiture sans prendre le temps de remercier.

Le bonheur qu’éprouva mon père en se retrouvant au milieu des siens, tous sains et saufs, rentrés dans leurs biens, établis à Paris et à la campagne à peu près sur le même pied qu’avant la révolution, ne saurait se décrire ; c’était un enivrement. Il accablait sa famille de questions, et ne se lassait pas d’entendre raconter les détails de ce qui s’était passé durant cette longue séparation ; il dut recommencer plusieurs fois lui-même le récit de ses aventures. Ses parens se montraient surtout curieux de la santé des princes français, de ce qu’ils avaient fait, de ce qu’ils comptaient faire, de leurs chances de retour. Mon père les surprenait fort quand il assurait que les plus chauds partisans de la cause royaliste n’aspiraient plus guère qu’à rentrer en France. Les personnes au milieu desquelles il se retrouvait jugeaient plus sévèrement que lui le gouvernement du jour. Témoin de l’ordre merveilleux qui régnait alors à Paris, il était plus frappé du bien que le consulat avait su accomplir en si peu de temps qu’effarouché des vestiges encore restés debout du régime révolutionnaire. Il se sentait de la reconnaissance et du bon vouloir pour les hommes qui lui avaient rouvert les portes de la patrie.

Mon père avait connu dans le monde de Londres Mlle de La Blache, fille du comte de La Blache, député de la noblesse à l’assemblée constituante. Mlle de La Blache, fiancée pendant l’émigration à M. de Sombreuil, qui périt d’une façon si tragique à la malheureuse affaire de Quiberon, était rentrée à Paris pour recueillir l’héritage de son père ; elle y était alors retenue par des affaires qu’elle ne pouvait terminer. Le choix de mon père ne fut ni suggéré par sa famille, ni déterminé par des considérations de fortune. Il contracta après un an d’attente, à trente et un ans, l’union qui fut l’intérêt principal de sa vie et assura le bonheur du reste de ses jours. Mes parens n’habitèrent pas à l’hôtel d’Haussonville ; ils s’établirent dans une maison rue de la Ville-l’Évêque, n° 1, à Paris. Ils passaient une partie de la belle saison au château de Plaisance, sur les bords de la Marne. Cette habitation faisait partie de la succession de M. Paris-Duverney dévolue au comte de La Blache, son neveu, et qui fut, en I775r l’occasion du procès soutenu par