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Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 25.djvu/398

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conséquences funestes, pour la richesse et le prestige de leur patrie, de l’indépendance des colonies. Shelburne traduisait ce sentiment dans une image pleine de grandeur et qui nous paraît aujourd’hui, comme toutes les métaphores qui ont traduit un sentiment que les événemens n’ont pas confirmé, un peu emphatique : « Le jour où l’indépendance sera acceptée par notre gouvernement, le soleil de l’Angleterre se couchera, et nous se serons plus une nation puissance que l’on respecte. » Quoi qu’il en soit, cette jalousie de la puissance et du prestige de son pays ne fit pas de lui un de ces hommes d’état chimériques et obstinés qui entassent sur leur pays des calamités irréparables ; il ne perdit jamais le sentiment de ce qui était possible, et, quand il fut convaincu qu’il fallait céder, se rappelant sa prophétie, il déclara qu’il voulait faire vite afin de ramener le crépuscule du matin et de préparer le nouveau lever du soleil de l’Angleterre.

Les négociations furent ralenties et compliquées faute d’une direction unique et continue. Comme l’Amérique n’était pas encore détachée de l’empire britannique, elle relevait du département de Shelburne, qui était secrétaire d’état pour les colonies ; mais comme elle était à la veille d’être mise au rang des états îndépendans et que les questions litigieuses étaient compliquées des intérêts des autres puissances belligérantes, la France et l’Espagne, le secrétaire d’état aux affaires étrangères, Fox, avait aussi à intervenir, à donner son impulsion. Aussi l’Angleterre fut-elle représentée à Paris par deux ambassadeurs, l’un choisi et envoyé par Shelburne, Oswald, dont Franklin disait qu’il avait un air de grande simplicité et de parfaite honnêteté, et l’autre, l’homme de Fox, Grenville, d’abord, et plus tard Fitz-Herbert. Fox et Shelburne n’avaient pas les mêmes préoccupations et les mêmes visées. Fox poursuivait un but très prochain, qui flattait son amour-propre, l’indépendance des États-Unis dores et déjà, afin de les détacher du département de Shelburne et de lui enlever toute raison d’intervenir. De plus Fox penchait pour l’alliance avec la Russie et les cours du nord, au mépris de ses sympathies bien connues pour la cause de la liberté. Shelburne était plus fidèle à ses principes et soutenait hardiment l’alliance française. Du reste le peu de succès qu’avait rencontré Chatham en 1766, quand il s’était tourné de ce côté, l’esprit inconstant et mal équilibré de Catherine, les procédés récens de ces cours à l’endroit de la Pologne, tout justifiait Shelburne à préférer la politique d’Elisabeth, de Cromwell et de Walpole et à rechercher l’alliance de la France pour protéger la liberté contre les menaces de ces potentats du nord. Dès l’année 1769, il avait nourri ce dessein ; mais les jalousies nationales étaient alors trop excitées, il