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avec la papauté, de la noblesse avec le peuple, du saint-siège avec les hauts barons, vous la rencontrez, tantôt embastillée derrière les remparts de ses forteresses imprenables, tantôt hardiment tenant la campagne, tour à tour victorieuse, proscrite, excommuniée, et ne pliant jamais ni devant le péril, ni devant la mort. Ils se montrent aux jours les plus reculés et déjà formidables aux papes. Au XIIe siècle, le peuple les taille en pièces, démolit leurs donjons, mais sans pouvoir abattre leur puissance ; et de même qu’alors, dans ce duel de la croix avec l’épée, l’implacable adversaire de Barberousse, Alexandre III, fulminait contre eux l’anathème, de même il en sera de papes en papes jusqu’au XVIe siècle, où la féodalité perd sa raison d’être au moment où l’art de la guerre se transforme. Leur arrivait-il par hasard de s’accorder avec le pape, vite ils profitaient de cette trêve pour se ruer sur le peuple de Rome. Lisez dans Pétrarque l’épopée de Stefano Colonna pleurant comme le vieux Priam la perte de ses fils et de ses petits-enfans tués à l’attaque de la porte San-Lorenzo pendant la république éphémère de Rienzi ! Leurs citadelles, en quelque sorte, se donnaient la main ; de ces places fortes, dont quelques-unes, — le château de Palestrina par exemple, — étaient inexpugnables, ils lançaient en plaine des corps d’armée et, comme chefs des gibelins, livraient aux papes des combats souvent victorieux.

Telle était la famille d’où sortait Vittoria. Elle avait encore presque l’âge d’un enfant lorsque ses parens la fiancèrent à don Ferrante d’Avalos, qui devint plus tard marquis de Pescaire, gentilhomme napolitain de haute race espagnole ; mais ce mariage, tout politique, ne devait avoir lieu qu’après le changement des circonstances qui le motivaient à cette époque. Le 27 décembre 1509, l’union fut célébrée dans le château et l’île d’Ischia, que les d’Avalos possédaient en fief, et dont la comtesse de Francavilla, tante de Ferrante, faisait les honneurs. L’inventaire du trousseau de la mariée, dressé à cette occasion, ne laisse pas d’avoir son intérêt au point de vue des mœurs et des usages du temps, et nous y remarquons parmi les objets d’ameublement « un lit à la française avec rideaux et baldaquins en soie cramoisie à larges bandes d’or, plus trois matelas, une couverture de soie pareillement cramoisie et de même travail, et quatre oreillers assortis. » Au nombre des vêtemens de la jeune épouse figurent « trois splendides robes ; l’une de velours violet, les deux autres de brocart noir et cramoisi. » La dot fut de quatorze mille ducats, et les présens du fiancé, — diamans, perles et pierreries, — ne s’élevèrent pas à moindre somme : une croix de diamans, avec sa chaîne d’or, comptait à elle seule pour mille ducats. Les premières années s’écoulèrent heureuses et calmes, tantôt à Ischia, tantôt à leur villa, au pied du mont