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Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 25.djvu/521

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talens d’homme d’état et sa renommée militaire exerçaient. Lorsqu’au milieu du désarroi politique où la fortune de Charles-Quint l’avait jeté, Clément VII se rapprocha de la France, le marquis de Pescaire fut le premier que les nouveaux alliés cherchèrent à gagner : payer sa défection au prix d’une couronne ne leur parût point trop exagéré. Il est vrai que cette couronne de Naples qu’ils offraient bénévolement ne leur appartenait pas. Pescaire refusa, et Vittoria, en récompense de sa noble attitude, lui écrivit qu’elle ne se souciait pas d’être reine et préférait être la femme d’un homme dont, pendant la guerre comme pendant la paix, la valeur ni la dignité ne s’étaient jamais démenties. Qui sait si par la défection d’un tel chef les choses à Pavie n’eussent point pris un autre cours ? Toujours est-il que cette victoire, enlevée de compte à demi avec le connétable de Bourbon, dont il avait dédaigné d’imiter l’exemple, ne lui porta pas bonheur. Blessé grièvement sur le champ de bataille, il eut en outre à souffrir de l’abandon et de l’ingratitude, et, lorsqu’il mourut quelques mois plus tard, on parla d’empoisonnement.

Vittoria venait de traverser les épreuves les plus douloureuses : elle avait, au cours des années précédentes, perdu son frère aîné, puis son père, puis sa mère ; partie de Naples en toute hâte à la nouvelle du malheur qui la menaçait, elle se rendait à Milan quand, elle apprit à Viterbe la mort de son mari. « Sa vie fut l’aliment de ma faible vie, pour lui j’étais née, à lui j’appartenais ; pourquoi ne suis-je pas morte pour lui ! » de cette époque procèdent la plupart de ses poésies qui, jointes au caractère souvent épique de sa destinée, à la force d’âme qu’elle déploya, ont entouré son nom et sa personne d’une sorte de consécration légendaire. Vittoria Colonna représente assez bien l’idéal de la veuve éplorée. La plaintive Élégie, telle qu’on nous la définit, « en longs habits de deuil, » c’est elle comme on se la figure, elle comme l’entrevoient dans leurs souvenirs ceux de nous que hantent les fantômes de l’histoire. La douleur qu’elle ressent de la perte de son époux, la gloire dont rayonne sa dépouille héroïque, lui deviennent une source inépuisable d’inspiration. Immortaliser, déifier cette idole sera désormais l’unique but de ses actes et de sa pensée.

À Rome, au palais Colonna, situé derrière l’église des Saints-Apôtres, un portrait de Muziano nous raconte la femme : une taille élancée, des yeux éclairés d’une flamme douce, un visage aimable, des traits fins, le nez mince, effilé, les cheveux d’un blond presque roux. La robe est vert de mer avec une chemisette de tulle autour du sein ; sur le col et dans les cheveux des perles. À trente-cinq ans, avec sa situation et sa fortune, l’illustre veuve n’aurait