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Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 25.djvu/524

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communicative, et, grâce à cette imagination, je réussis à m’éprendre à mon tour d’une autre belle non moins digne d’hommage et d’admiration passionnée. » À ces natures qu’enflamme le souffle de la renaissance, mobiles en leurs joies comme en leurs douleurs, sans cesse travaillées d’une fièvre d’idéal, prêtez comme moyen d’expression la langue italienne, et les sonnets, les élégies, les dithyrambes, déborderont. Les peintres, les architectes, les sculpteurs, se mettront à pétrir cette glaise, et les orfèvres à ciseler ce clinquant, que bien des critiques prendront ensuite pour de l’or. Le charme de cette poésie italienne du XVIe siècle est tout entier dans l’illusion qu’elle vous donne : de loin, c’est quelque chose qui vient de Pétrarque et lui ressemble ; de près, ce n’est qu’un moule plein de grelots, qu’une forme d’où la vie poétique s’en est allée : la cage du chantre de Laure sans les oiseaux.

Les poésies de Vittoria Colonna ne tardèrent pas à faire leur chemin ; la situation particulière de l’auteur dans la société romaine, la physionomie intéressante du héros, tout contribuait à pousser au succès. Arioste, Bembo et jusqu’à l’Arétin sont unanimes à célébrer cette femme extraordinaire ; mais ce qui vaut peut-être mieux que cette pluie de sonnets et de stances, c’est le simple témoignage d’un étranger qui se trouvait alors à Rome, étudiant l’architecture et la peinture aux frais du roi Jean III de Portugal. « Vittoria Colonna, écrivait ce maître Franz dit le Hollandais, Vittoria Colonna, marquise de Pescaire et sœur de monseigneur Ascanio, est une des plus illustres dames qui soient en Italie comme en Europe honnête et belle, pleine d’esprit et de savoir, elle possède toutes les qualités à renommer chez une femme ; depuis la mort de son époux, elle mène à l’écart une vie modeste, lasse des grandeurs de son état précédent, et n’aimant plus désormais que Jésus-Christ et les études utiles ; elle fait beaucoup de bien aux pauvres et donne partout l’exemple de la piété la plus édifiante. » Ce maître Franz avait connu madame Vittoria par hasard. Un de ses amis le présenta chez elle, à ce cloître de San-Silvestro au Quirinal, où le dimanche se réunissait une société de savans et d’artistes dont faisait partie Michel-Ange, retiré à Rome depuis la prise de Florence et la restauration des Médicis, et, dans la tristesse et l’amertume de son âme, poursuivant, terminant ses travaux de la chapelle Sixtine, de Saint-Pierre et du monument de Jules II. Le peintre du Jugement dernier et l’héritière des Colonna étaient deux natures créées pour s’entendre ; des deux côtés s’affirment l’énergie et le sérieux du caractère, ce fier dédain de ce que la jouissance humaine a de transitoire et cet esprit de conséquence qui imprime à toute une existence le sceau de l’unité. Leurs poésies à tous les deux se ressemblent par le fond comme par la forme : par la forme, qu’ils