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puisqu’elle fut déclarée supprimée : en fait, non, puisque presque immédiatement la commune de Paris interdit la représentation de l’Ami des Lois, comédie en cinq actes, en vers, de Laya, et de Adrien, empereur de Rome, opéra en trois actes, paroles d’Hoffmann, musique de Méhul. La commune prétendit que « l’opéra était évidemment royaliste, puisque les chevaux qui devaient traîner sur la scène le char d’Adrien avaient appartenu à Marie-Antoinette ! »

D’ailleurs on peut dresser un tableau comparatif prouvant que jamais peut-être la censure ne fut plus dure que sous le régime de la liberté des théâtres. Ainsi en trois ans, de 1792 à 1795, le nombre des pièces présentées et censurées est de 151 ; en treize ans, de 1835 à 1848, c’est-à-dire lorsque la liberté des théâtres n’existe plus, le nombre des pièces présentées est de 8,330, le nombre des pièces censurées est de 123. Ces chiffres parlent d’eux-mêmes ; ils ont été puisés, les premiers dans les Études administratives de M. Vivien, les seconds dans l’enquête du conseil d’état de 1849. M. Vivien fait remarquer en outre que pendant ces trois années, de 1792 à 1795, la censure avait déclaré mauvais les ouvrages les plus irréprochables : presque toutes les comédies de Molière ; Nanine et Mahhomet de Voltaire ; Beverley de Saurin ; jusqu’au Jeu del’ amour et du hasard de Marivaux ! Bien plus, il était ordonné aux comédiens de remplacer toujours le mot : « monsieur » par le mot « citoyen, » même dans les pièces en vers !

Donc la question de censure est absolument distincte du régime auquel sont soumis les théâtres, qu’ils soient libres ou subordonnés à l’administration. La censure a existé sous tous les gouvernemens, libéraux ou despotiques, de droit populaire ou de droit divin ; on pourrait même ajouter qu’elle fut de tous les temps et de tous les pays. Les Athéniens brûlaient les livres de Protagoras, les Romains ceux de Labienus sous Auguste, des chrétiens sous Dioclétien, d’Arius sous Constantin. Au moyen âge, il y eut progrès : on brûla non-seulement le livre, mais encore l’auteur du livre. Les écrivains d’aujourd’hui peuvent donc être indulgens envers la censure, qui ne livre aux flammes ni une page de leurs drames, ni un cheveu de leur tête ! La nécessité en est avouée par tous ; au reste, les esprits se partagent seulement sur la question de savoir si elle doit être préventive ou répressive, c’est-à-dire exercée avant ou après l’apparition de l’ouvrage.

Nous croyons avoir prouvé que la liberté illimitée des théâtres n’est pas une liberté à proprement parler, mais un abus ; que la supprimer ne serait pas une mesure anti-libérale ; qu’elle est une cause de faillites et de ruines ; enfin qu’elle contribue à l’avilissement de l’art. On ne trouverait pas, à l’heure présente, dans toute