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Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 25.djvu/756

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près d’elle les yeux pleins de larmes : « Et toi, me croiras-tu damnée si je refuse ? — Non, non, non, s’écria impétueusement la jeune fille ; je suis à genoux pour vous bénir et non pour vous prêcher. — Je suis contente de toi, lui répondit sa grand’mère, et pour te le prouver, comme je sais qu’au fond du cœur tu désires que je dise oui, je dis oui. » Dès le lendemain, elle fit venir le vieux curé du village, et en présence de sa petite-fille elle fit à haute voix cette confession philosophique, que je n’hésite pas à rapporter, parce qu’ainsi sont mortes, avec cette sincérité et ce courage, bien des personnes de l’ancienne société française : « Je n’ai jamais fait ni souhaité aucun mal à personne : j’ai fait tout le bien que j’ai pu faire. Je n’ai à confesser ni mensonge, ni dureté, ni impiété d’aucune sorte. J’ai toujours cru en Dieu ; mais écoute ceci, ma fille, je ne l’ai pas assez aimé. J’ai manqué de courage ; voilà ma faute, et depuis le jour où j’ai perdu mon fils, je n’ai pu prendre sur moi de le bénir et de l’invoquer en aucune chose. Il m’a semblé trop cruel de m’avoir frappée d’un coup au-dessus de mes forces. Aujourd’hui qu’il m’appelle, je le remercie et le prie de me pardonner ma faiblesse. C’est lui qui me l’avait donné, cet enfant, c’est lui qui me l’a ôté ; mais, qu’il me réunisse à lui, et je vais l’aimer et le prier de toute mon âme. » À cette confession singulière, le vieux curé, qui dans son émotion reprit sans s’en apercevoir son vieux parler paysan, répondit avec onction : « Ma chère sœur, je serons tous pardonnes, parce que le bon Dieu nous aime et sait bien que, quand je nous repentons, c’est que je l’aimons. Je l’ai ben pleuré aussi, moi, votre cher enfant, allez, et je vous reponds ben qu’il est à droite de Dieu et que vous y serez avec lui. Dites avec moi votre acte de contrition, et je vas vous donner l’absolution. »

Peu de temps après cette scène étrange et solennelle, Mme Dupin de Francueil retomba dans un engourdissement dont elle ne devait sortir que par la mort. Mais le spectacle de cette résignation et de ce courage, puisés dans des convictions si différentes des siennes, troubla profondément sa petite-fille, et lui fit, dit-elle, « sentir d’autant plus vivement que la vérité absolue n’était pas plus dans l’église que dans toute autre forme religieuse. » En même temps que sa pensée était en train de se dérober au joug de la règle intellectuelle, l’existence qu’elle menait, livrée à elle-même sans contrôle et sans conseil, devint de plus en plus étrange. Ce fut à cette époque qu’elle commença à s’habiller en garçon avec un pantalon de toile et des guêtres en cuir pour pouvoir chasser plus commodément. Ses études prirent bientôt une tournure aussi masculine que ses divertissemens. Après s’être passionnée pour la minéralogie et la botanique, dont elle a toujours conservé le goût, l’anatomie piqua sa curiosité. Un jeune étudiant en médecine, qu’elle