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le fond de la philosophie populaire et de la philosophie universitaire. Il est certain qu’un grand nombre de difficultés semblent encore rester sans solution dans cette doctrine. Contentons-nous d’indiquer les principales, afin de bien faire comprendre quel est l’état actuel de la question et quels nouveaux éclaircissemens elle réclame.


V

Les philosophes de notre pays s’en sont tenus trop souvent, dans leurs théories du droit, à des expressions vagues et générales sur la « dignité, » sur le « respect de la personne humaine, » au lieu de déterminer nettement ces trois points : la valeur de la liberté, la relation de la liberté avec sa fin, la nature intime de la liberté. En premier lieu, il eût fallu marquer avec plus d’exactitude le fondement et le degré de cette dignité qu’on attribue aux êtres libres ; est-elle limitée ou infinie, subordonnée ou indépendante, relative ou absolue ? En d’autres termes, pour quelle raison précise la liberté est-elle grande, noble, inviolable ? A-t-elle sa valeur en elle-même ou l’emprunte-t-elle à un principe supérieur ? Victor Cousin et généralement les spiritualistes de l’école française ont subordonné la liberté au devoir, à la « loi morale, » à la « loi de la raison, » à une règle fournie par l’intelligence ; mais alors comment soutenir que le libre arbitre est en lui-même sacré et respectable ? Comment la liberté peut-elle être ainsi tout ensemble inviolable et subordonnée à une fin ? Cette relation de la liberté à sa fin n’était guère expliquée dans l’école de Victor Cousin. On ne la concevait plus à la manière de Kant et de Fichte, selon lesquels la fin de la liberté est la liberté même : on n’aurait osé dire avec eux, au sens propre des mots, que « l’humanité est fin en soi, » ou avec Proudhon et les partisans de la morale indépendante, que la justice est humaine, rien qu’humaine, que le principe du droit est l’homme même et non quelque être supérieur ou quelque loi supérieure. La liberté demeurait donc un simple moyen pour l’accomplissement de notre destinée ; or il ne semble pas que ce qui est seulement un moyen puisse fonder un droit absolu. Dans le fait, on a toujours vu Victor Cousin et les doctrinaires maintenir avec Royer-Collard et Guizot ce qu’ils -appelaient « la souveraineté de la raison, » les « droits de la raison, » et en déduire dans la politique des conséquences favorables à l’aristocratie, ce droit des plus raisonnables et des plus sages, ou de ceux qu’on préjuge tels. Le compromis de la monarchie constitutionnelle, mélange de principes opposés, était