Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 25.djvu/803

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

causalité personnelles, sans qu’il soit lui-même une force et un facteur de sa propre destinée, s’il monte ou descend passivement dans le milieu moral plus ou moins haut, plus ou moins bas, par une loi analogue au principe d’Archimède, comme un corps qui monte ou descend dans le milieu atmosphérique selon la force expansive qui le soulève, ont ne voit pas ce qu’il aurait en lui-même qui put lui donner une valeur propre, lui attribuer une dignité, lui conférer un droit. Que la volonté humaine soit telle, elle perdra tout son prix intrinsèque : le problème social redeviendra un simple calcul de forces ou d’intérêts, comme dans la philosophie allemande ou anglaise, et la conception française sera réduite à une pure illusion.

Ainsi l’étude des fondemens du droit nous amène finalement en face d’une sorte d’antinomie : d’un côté on ne voit pas comment un être sans aucune liberté morale aurait des droits ; d’un autre côté on ne voit pas comment la liberté, du moins telle qu’on l’entend d’ordinaire, pourrait conférer des droits. Si donc la philosophie française veut se soutenir contre les doctrines adverses, il faut qu’elle explique avec précision ce qu’elle entend par liberté, il faut quelle en cherche une notion qui soit également, distante de la volonté indifférente et de la nécessité fatales.

Nous l’avons reconnu, la doctrine française qui fonde le droit sur la liberté morale n’est pas seulement la doctrine d’un homme, mais celle d’un peuple, et naguère encore, avant le développement des écoles allemandes et anglaises, elle semblait devenue celle de tous les peuples ; elle a de trop profondes racines dans le caractère national et dans la philosophie nationale, elle a eu en même temps trop d’influence sur le développement des institutions civiles ou politiques, non-seulement en France, mais dans toute L’Europe, pour qu’on puisse l’abandonner sans un mûr examen et sans avoir tenté par un nouvel effort de la rendre plus solide. Ainsi nous apparaît la nécessite d’indiquer, dans une prochaine étude, les points sur lesquels la doctrine française du droit doit selon nous recevoir quelque perfectionnement. Une fois complétée, cette doctrine pourrait peut-être maintenir en face des philosophes adverses la vérité relative de son propre point de vue ; en même temps seraient mieux comprises l’originalité de notre caractère national et l’utilité de l’influence française pour le progrès universel.


ALFRED FOUILLEE.