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Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 30.djvu/910

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QUATRE RENCONTRES



Je n’ai rencontré miss Spencer que quatre fois, et ces rencontres restent gravées dans mon souvenir, car cette jeune personne produisit sur moi une vive impression. C’était un gracieux échantillon d’un type peu commun. La nouvelle de sa mort me cause un vrai chagrin, — pourtant, lorsque j’y songe, ne devrais-je pas plutôt me réjouir ? La dernière fois… mais procédons par ordre.

I.

Notre première rencontre eut lieu en pleine campagne, il doit y avoir dix-sept ou dix-huit ans de cela. Mon ami Jones, qui allait passer les vacances de Noël chez sa mère, m’avait décidé à l’accompagner, et mon hôtesse donnait en notre honneur une soirée intime. Pour moi, ce fut un divertissement tout nouveau, car je n’avais guère habité que les grandes villes. Jamais je ne m’étais aventuré au fond d’une province américaine. La neige tombait avec une telle persistance depuis le matin que l’on s’y enfonçait jusqu’aux genoux sur les routes. Comment les dames feraient-elles pour se rendre chez Mme Jones ? J’étais bien naïf de m’en inquiéter. À Grimwinter, elles auraient volontiers affronté de plus rudes obstacles afin d’assister à une réunion que deux messieurs, arrivant de New-York, honoraient de leur présence. Aucune des invitées ne manqua donc à l’appel.

Mme Jones, durant le cours de la soirée, me demanda si « je ne voulais pas montrer les photographies à une de ces demoiselles. » Lesdites photographies remplissaient deux vastes cartons rapportés par son fils, qui, comme moi, venait de voyager en Europe. Je jetai les yeux autour du salon, et je m’aperçus que la plupart des jeunes personnes présentes étaient pourvues d’un objet d’intérêt beaucoup plus absorbant qu’un paysage reproduit par le soleil. Je remarquai