Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 43.djvu/158

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

grand’peine à faire respecter le policeman dans les rues de Londres. « Quand l’un d’eux s’était montré brutal dans une arrestation, nous disait le juge, loin de couvrir la faute, je m’associais à l’émotion du public, je détournais mon attention du prévenu pour la concentrer sur l’excès de pouvoir et je ne revenais au prisonnier qu’après avoir vérifié le fait et puni l’agent avec une sévérité exceptionnelle. Je faisais plus ce jour-là pour la protection et la popularité du corps de police que si le parlement lui avait accordé un privilège. »

La police française se croirait perdue si un juge s’avisait de condamner un gardien. En cela les Anglais ont le tempérament républicain, et nous l’avons monarchique. Si nous conservons ces préjugés sous le gouvernement de la démocratie, nous pourrons nous dire en république, mais nous n’éviterons aucun des maux du despotisme, nous ne connaîtrons la liberté que de nom et nous n’aurons pour toute consolation que cette égalité menteuse qui semble faite pour la servitude.

On répète volontiers que la république ne peut être fondée que sur le respect des lois, mais cette formule banale veut un effort positif. Elle serait vide de sens, si le même jour les voix qui la proclament insultaient les juges, déifiant la loi et chassant ses organes. Si on veut respecter le droit, il faut savoir respecter ceux qui l’interprètent, alors même qu’ils rendent des arrêts qui nous blessent. Il n’y a nul mérite à obéir ponctuellement aux décisions qui vous absolvent. C’est le jour où elles condamnent le justiciable qu’on mesure sa déférence à la modération de ses plaintes ; mais il faut pour cela un empire sur soi-même que ne possède pas le peuple.

Les démocraties jeunes ont les qualités et les défauts de l’enfance : actives jusqu’à la pétulance, égoïstes jusqu’à l’ingratitude, en perpétuel mouvement, adorant et brisant leurs jouets, ne se lassant pas d’agir jusqu’à l’heure où elles s’endorment pour se réveiller et reprendre leur vie incessamment mêlée de soucis et de larmes, d’enthousiasme et de colère. Dans leur tourbillon infatigable, elles n’aiment point la règle et tendent à l’énerver : elles abaissent peu à peu les justices inférieures qui sont en contact avec elles ; elles se plaisent à en faire une sorte d’arbitrage d’équité, préfèrent volontiers des hommes médiocres vivant de la vie des justiciables. Si les citoyens élisent leurs juges, ils font choix de leurs pairs, se soucient peu du droit, préfèrent les demi-mesures aux sévérités d’une décision juridique ; de cette influence résulte une décadence de la justice, dont le prestige disparaît dans un nivellement progressif. Le terme de cette tendance serait la justice rendue à tous les degrés par des combinaisons diverses reposant sur le juge ou sur le juré élu dans les communes.

Mais l’homme parvenu à un certain degré de civilisation ne peut