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rougir de la véritable, et la timidité criminelle du respect humain damne bien plus, de chrétiens que l’effronterie et la duplicité de l’hypocrisie[1]. » Mêmes qualités, et des qualités nouvelles, qui viennent s’ajouter aux premières. Ne doutez pas que, pour écrire cette seule phrase, toute en noms, verbes, et pronoms : « Le respect humain qui fait que nous servons Dieu pour mériter l’estime des hommes est bien plus rare que celui qui nous empêche de le servir de peur de la perdre, » il ne faille une entière possession des ressources de la langue. Nous n’écrivons plus ainsi, mais, au moins sachons-le bien, c’est parce que nous ne pouvons plus écrire ainsi. Sous un excès de couleur, ce que l’on dissimule souvent, c’est que l’on a perdu le sens et l’instinct de la ligne. Pareillement, le style coupé, c’est quelquefois l’impuissance même de lier le style.

Prenons un autre exemple encore : « Madeleine avait sacrifié au monde tous les dons qu’elle avait reçus de la nature ; elle en fait dans sa pénitence un sacrifice à Jésus-Christ, sa douleur n’excepte rien, et la compensation est universelle. Ses yeux avaient été ou les instrumens de sa passion ou les sources de ses faiblesses, ils deviennent les organes de sa pénitence et les interprètes de son amour : Lacrimis cœpit rigare pedes ejus. Ses cheveux avaient servi d’attrait à la volupté, elle les consacre aujourd’hui à un saint ministère : Et capillis capitis sui tergebat. Sa bouche avait été mille fois souillée ou par des discours de passion ou par des libertés criminelles, elle la purifie par les marques les plus vives d’une plus sainte tendresse : Et osculabatur pedes ejus. Son amour reprend toutes les armes de sa passion et s’en fait autant d’instrumens de justice, et elle punit le péché par le péché même[2]. » Connaissez-vous rien qui soit d’un sentiment plus vif à la fois et plus précieux ? ou d’une langue en même temps plus franche et plus curieuse ? Je ne sais à la vérité si l’accent n’en est pas un peu profane. Lorsque parurent, en 1745, les Sermons de Massillon, un contemporain prétendit qu’on y goûtait une sorte de plaisir, et de volupté même, où il semblait « que les sens participassent[3]. » Le mot est juste, et l’éloge, car c’est un éloge, absolument vrai, mais un peu laïque, j’imagine, à l’adresse d’un prédicateur chrétien.

Transcrivons un dernier passage : « Accoutumés que sont les grands à tout ce que les sens ont de plus doux et de plus riant, la plus légère douleur déconcerte toute leur félicité, et leur est insoutenable.

  1. Sur le respect humain.
  2. Panégyrique de sainte Madeleine.
  3. Massillon, d’après des documens inédits, par M. l’abbé Blampignon ; Paris, 1879, page 261.