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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 43.djvu/345

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Silence. Je reprends :

— Et puis le pays est plein de souvenirs historiques ; c’est ici que Marie-Stuart a débarqué en 1548 lorsqu’elle est venue épouser François II.

— Ah ! répond froidement mon ami en secouait les cendres de sa pipe, tu crois ? .. Si nous allions nous coucher ?

Et silencieusement, avec la mine piteuse de chiens qui cheminent la queue entre les jambes, nous regagnons notre chambre.

Nous sommes logés hors de l’hôtel, au-dessus d’un cabaret, dans une immense pièce nue, dont deux lits garnis de baldaquins blancs composent presque tout le mobilier. Les cloisons sont en sapin tout neuf, ainsi que le parquet ; dès qu’on marche, tout cela craque d’une façon funèbre. Par les fenêtres sans rideaux, la lune jette un rayon ironique sur nos deux figures déconfites. En bas, les voix des buveurs s’interpellant en langue bretonne montent brutalement jusqu’à nous. L’attitude désolée de Tristan, qui cherche en vain un clou pour y pendre son pardessus, me fait pitié. Il a l’air d’un naufragé errant dans une lie sauvage.

— Bah ! lui dis-je en lui serrant la main, nous avons mal vu le pays ; demain, en plein soleil, ce sera tout autre chose.

— Bonsoir ! répond-il furieux, et il se plonge dans ses couvertures.


30 août.

— Mon pauvre ami, décidément c’est un four… Boucle ta malle et sauvons-nous !

Ce sont mes premières paroles, après une matinale promenade qui nous a convaincus que Roscoff est aussi laid au lever qu’au coucher du soleil. Mais le vent a tourné ; mon ami est en proie aujourd’hui à son humeur casanière et il est pris de scrupules :

— Déjà partir ! objecte-t-il, quel démon nous pousse ? Ce besoin de changer constamment de place est un signe de déchéance. Vive le paysan qui se contente de ses voisins et sourit durant une longue vie aux mêmes sourires ! .. D’ailleurs, qui sait ? nous n’avons peut-être pas vu ce qu’il y a de plus intéressant. As-tu consulté le Guide ?

Je rouvre Joanne et je lis : « Les terres de Roscoff sont d’une incroyable fertilité ; elles se louent, jusqu’à trois cents francs l’hectare et produisent en légumes, grâce à un climat exceptionnel, des primeurs qui s’expédient à Paris et en Angleterre… »

— Après ?

— Après, il n’y a plus rien… Ah ! si fait ! « A un kilomètre de la route, dans un champ dépendant du manoir de Keravel, on trouve