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ne s’attendait guère à voir un être comme moi se lever de toute sa hauteur pour lui faire tête. Il a grondé, disputé, prié, et je suis restée inébranlable. Je veux une pension, et j’irai à Paris pour toujours, mes enfans resteront à Nohant. Voilà le résultat de notre première explication. J’ai paru intraitable sur tous les points. C’était une feinte comme vous pouvez croire. Je n’ai nulle envie d’abandonner mes enfans entièrement, mais je me suis laissé accuser d’indifférence. J’ai déclaré être préparée à tout. Je voulais lui bien persuader que rien ne m’entraverait. Quand il en a été convaincu, il est devenu doux comme un mouton, et aujourd’hui il pleure. Il est venu me dire qu’il affermerait Nohant, qu’il ferait maison nette, qu’il n’y pourrait pas vivre seul, qu’il emmènerait Maurice à Paris et le mettrait en pension. C’est ce que je ne veux pas encore. L’enfant est trop jeune et trop délicat. En outre, je ne veux pas que ma maison soit vidée par mes domestiques qui m’ont vue naître et que j’aime presque comme des amis. Je consens à ce que le train en soit réduit, parce que la pension que je veux avoir pour vivre indépendante rendra cette économie nécessaire. Je veux garder Vinent et André avec leurs femmes et Pierre. Il y aura assez de deux chevaux, de deux vaches, etc., etc., je vous fais grâce du tripotage. De cette manière, je serai censée vivre de mon côté, mais en effet je compte passer une partie de l’année, six mois au moins, à Nohant près de mes enfans, voire près de mon mari, que cette leçon rendra plus circonspect et dont ma position d’ailleurs me rendra indépendante. Il m’a traitée jusqu’ici comme si je lui étais odieuse. Du moment que je m’en assure, je m’en vais. Aujourd’hui il me pleure. Tant pis pour lui. Je lui prouve que je ne veux pas être supportée comme un fardeau, mais recherchée et appelée comme une compagne libre, qui ne demeurera près de lui que lorsqu’il en sera digne. Ne me trouvez-vous pas impertinente ? Rappelez-vous comme j’ai été humiliée, et cela a duré huit ans ! En vérité, vous me le disiez souvent : les faibles sont des dupes de la société. Je crois que ce sont vos réflexions qui, à mon insu, m’ont donné un commencement de courage et de fermeté. Je ne me suis radoucie qu’aujourd’hui. J’ai dit que je consentirais à revenir si ces conditions étaient acceptées, et elles le seront. Mais elles dépendent encore de quelqu’un, ne le devinez-vous pas ? C’est de vous, mon enfant, et j’avoue que je n’ose pas vous prier, tant je crains de ne pas réussir. Cependant voyez quelle est ma position. Si vous êtes à Nohant, je puis respirer et dormir tranquille. Mon enfant sera en de bonnes mains, son éducation marchera, sa santé sera surveillée, son caractère ne sera gâté ni par l’abandon, ni par la rigueur outrée. J’aurais par vous de ses nouvelles tous les jours,