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passablement ambitieuses et démesurées. On ne s’est pas entendu un seul instant, c’était bien facile à prévoir. La libéralité inscrite par l’Europe en faveur de la Grèce dans le traité de Berlin se trouvait dès lors en suspens. C’est la seconde phase, la phase des négociations directes inutilement poursuivies pendant plus d’une année. Il n’y avait plus rien à attendre de pourparlers où les deux parties portaient plus de ressentiment et d’ombrages que d’intentions conciliantes. C’est alors, aux premiers mois de l’année qui vient de finir, c’est alors que commence la troisième phase qui a son point culminant à la conférence de Berlin, constituée pour exercer la médiation prévue par le traité de 1878. Assurément rien n’était plus conforme à la légalité créée à Berlin ; les intentions bienveillantes et pacifiques des puissances n’étaient pas douteuses, et si, après avoir un instant hésité entre diverses formes d’action médiatrice, elles se décidaient à la réunion d’une conférence diplomatique dans une des capitales de l’Europe, c’était uniquement pour donner plus de relief et d’autorité à leur délibération. Que la réunion eût lieu à Berlin ou à Paris, — les deux villes avaient été d’abord désignées par l’Angleterre, — on croyait agir au mieux, pour en finir. Il faut bien le dire cependant, c’est la conférence de Berlin qui, sans le vouloir, a tout gâté et a créé cette situation presque violente d’aujourd’hui, d’où l’on ne sait plus comment sortir. C’est là que la question s’est nouée de la plus dangereuse manière dans la confusion des idées et des conseils. On a voulu trop faire et on n’a rien fait, faute d’une appréciation exacte des circonstances, de ce qui était possible, de ce que permettaient et cette légalité dont on s’armait, et la diversité même des politiques en Europe.

Que pouvait ou devait être cette réunion, qui n’avait dû être d’abord qu’une commission technique de délimitation envoyée en Épire pour régler la question sur le terrain et qui est devenue presque à l’improviste une conférence diplomatique ? Elle avait sa mission toute tracée dans l’article du traité de Berlin qui constituait son droit ; elle était une médiation offerte pour « faciliter les négociations » entre la Turquie et la Grèce, elle n’avait point d’autre rôle. Qu’a-t-elle été ou qu’a-t-elle paru être ? Elle s’est trouvée aussitôt ressembler à une sorte de nouveau congrès disposant de territoires mis en liquidation par la guerre, distribuant des provinces, sanctionnant un projet de délimitation arrêté d’avance sur des cartes d’état-major et plus étendu que tout ce qui avait été prévu, notifiant enfin ses décisions comme un ultimatum, comme l’expression irrévocable du jugement souverain de l’Europe.

D’un seul coup, elle dépassait visiblement le but, et les Turcs, qui y étaient intéressés, qui sont de fins diplomates, les Turcs ne s’y sont pas trompés un instant. Dès le premier jour, dès le 15 juin, avant que rien fût décidé, ils l’ont dit, ils l’ont écrit dans une sorte de protestation anticipée : « Les puissances sont naturellement seules juges de la