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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 61.djvu/104

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car nous ne voulons pas cacher que nous avons été des amis de l’illustre philosophe ; que, dans les dernières années de sa vie, il nous a honoré d’une bienveillante affection ; que, la veille de son départ de Paris, c’est avec nous qu’il a passé sa dernière soirée ; enfin, qu’au moment de sa mort, c’est à nous que le regretté directeur de cette Revue a bien voulu s’adresser pour nous demander un respectueux et douloureux hommage[1]. Nous devons rappeler ces faits, qui peuvent ôter quelque crédit à notre témoignage ; mais, en revanche, un tel travail pourrait-il être fait fructueusement par quelqu’un qui fût tout à fait étranger à la personne et au temps qu’il faut expliquer ? Pour bien comprendre un rôle si varié et une philosophie si complexe, pour se démêler entre tant d’écrits divers dont la date même est si difficile à retrouver (leçons, programmes, préfaces, articles, notes même, car tout avait sa valeur pour lui), pour se diriger au milieu de ce dédale de textes tant et si souvent remaniés, il faut un fil conducteur ; et ce fil est chaque jour entre les mains d’un plus petit nombre de personnes : il serait imprudent d’attendre qu’il fût entièrement rompu. Il faut avoir connu les choses et les faits, les circonstances et le milieu, et être en possession (ce qui n’est pas commode), de tous les documens. Nous avons cru être du nombre de ceux qui pouvaient parler avec quelque autorité sur cette matière, ayant connu par nous-même la seconde période à partir de 1840, et ayant reçu de première main la tradition de la première. Peut-être aussi, nous étant éveillé à la pensée sur les confins des deux mondes philosophiques qui ont partagé notre siècle, et, malgré les liées qui nous rattachaient au passé, ayant assez vécu avec les générations ultérieures pour être au courant de leurs réclamations, de leurs besoins et aussi (car elles ont les leurs) de leurs illusions, peut-être sommes-nous en mesure d’expliquer aux nouveaux la pensée des anciens, et de leur demander pour leurs devanciers la justice qu’ils réclameront un jour pour eux-mêmes. Telles sont les raisons qui nous ont fait entreprendre ce travail ; on pourra juger autrement que nous ; mais on jugera sur des documens authentiques, et sur des faits certains[2].

  1. 1er février 1867.
  2. Nous n’avons pas besoin de dire qu’indépendamment des textes, nous avons consulté tout ce qui a été écrit sur Victor Cousin. Il serait trop long de faire ici la bibliographie complète du sujet. Rappelons seulement les écrits dus à ses deux illustres amis : M. Mignet, dans sa savante et large notice lue à l’Académie des sciences morales (16 janvier 1819) et M. Ch. de Rémusat dans sa Réponse à Jules Fabre. Signalons encore les spirituels Articles d’Ernest Bersot dans le Journal des Débats, les dernières pages qui soient tombées de sa plume. (Voir Comptes-rendus de l’Académie des sciences morales, février-mars 1880, page 29) ; et enfin l’article de M. Ad. Franck dans le Dictionnaire des sciences philosophiques. Nous ne parlons ici que des travaux publiés depuis la mort de Cousin.