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Les catholiques ajoutent que Rome capitale peut, en certains cas, être non moins nuisible aux intérêts politiques de la péninsule qu’à la dignité de son gouvernement. Dans presque tous les états étrangers, la présence d’un prince de Savoie au Quirinal indispose contre l’Italie une fraction considérable de la population. Ses démêlés prolongés avec la papauté peuvent un jour contribuer à l’isoler en lui aliénant de nombreuses sympathies ; ils lui rendraient plus malaisée et plus précaire toute alliance avec les états ou les gouvernemens où prédominent les influences religieuses, influences que les attaques mêmes de la démocratie tendront à fortifier autour de plus d’un trône.

Comme capitale de l’Italie, Rome n’a guère moins de désavantages au dedans qu’au dehors. A quoi bon les énumérer ? Au point de vue matériel, l’insalubrité, la solitude, la pauvreté de la campagne environnante, admirable fond de tableau pour des ruines antiques ou des villas peuplées de statues et emplacement misérable pour un grand centre de population moderne. Au point de vue de l’art, la difficulté d’adapter la ville des césars et des papes à son nouveau rôle sans la défigurer et la vulgariser, sans lui ravir tout ce qui en fait la supériorité et la poésie. Au point de vue moral, le voisinage du sud, qui attire le centre de l’état vers les parties les plus corrompues de la nation et tend à accroître démesurément les influences méridionales. Au point de vue politique enfin, le grand nom même de Rome, les souvenirs de la république et des empereurs, qui, pour un peuple moderne, ont quelque chose de disproportionné et l’exposent à de périlleuses réminiscences ou à des ambitions démesurées. On peut dire, il est vrai, et nous-même tout le premier[1], que Rome est la tête historique de l’Italie, que, sans elle, la nouvelle monarchie eût ressemblé à l’une de ces statues acéphales que l’on découvre dans les fouilles du sol romain ; mais, à cela, ne peut-ou répondre que c’est une tête trop lourde et en même temps trop petite pour le cou qui la porte, qu’en réalité, c’est une tête antique sur un corps moderne ?

Entre les glorieuses métropoles régionales de la péninsule, les adversaires de Rome capitale n’ont pas beaucoup à chercher celle qui aurait le plus de titres à la succession de Rome rendue à l’église, à l’art, à la jalouse poésie des souvenirs. Leurs yeux se portent d’ordinaire sur « le riant bercail où Dante dormit agneau[2], » et où, avec lui, grandit l’art italien ; sur la noble cité qui, plus que toute autre, a le droit d’être regardée comme le cœur de

  1. Voyez un Empereur, un Roi, un Pape ; IIIe partie : Pie IX et le Saint-Siège.
  2. Il bello ovile, ov’ io dormi agnello. (Dante, Paradis, XXV, 2.)