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une opposition avec son objet. Il se saisit dans un dualisme dont les deux termes sont identiques, et où l’objet n’est que le moi redoublé. C’est là le seul commencement scientifique. Toute science qui prétendrait remonter plus haut, qui voudrait commencer par l’unité absolue débuterait par une hypothèse, commencerait par la substance du moi et non par le moi lui-même, ce qui est illogique : on ne va pas de la substance à la pensée, mais de la pensée à la substance. C’est le moi qui, en se détruisant lui-même, ou en faisant semblant de se détruire, trouve la substance. »

Dans une autre leçon, Cousin enseignait la division tri-partite des trois facultés : la raison, la sensibilité et la volonté ; mais il avait soin de dire que cette division n’était que relative, qu’elle n’exprime que le moment de la conscience, et qu’avant l’apparition de la conscience, les trois facultés étaient confondues dans l’unité, comme elles doivent retourner à l’unité quand la conscience aura disparu.

« La conscience ne dit pas et ne doit pas dire que ces trois faits soient distincts en eux-mêmes avant qu’ils apparaissent dans l’homme. La conscience ne peut pas dire que la sensibilité réunie à son principe, qui est le principe vitale que la volonté réunie à son principe, qui est la force, que la raison réunie à son principe, qui est la vérité, n’ont pas des liens qui se brisent lorsque ces trois faits apparaissent, mais qui les réunissaient avant leur apparition et peuvent les ramener à une unité absolue. Je ne traite pas cette question ; et puisque je ne parle que de la conscience, je ne dois pas la traiter. — Je ne traite pas non plus cette autre question de savoir si la loi de l’humanité a un principe différent de celui du monde ; si la raison qui révèle ma loi n’est pas aussi cette raison qui a fait les lois de la nature extérieure, en un mot si les lois de la nature ne sont pas ontologiquement réductibles au principe de ma loi personnelle, encore une fois, j’écarte ces questions. Aussitôt que l’homme s’est posé en opposition à ce qui n’est pas lui, là est un combat perpétuel. L’homme ne se connaît pour ainsi dire que sur un champ de bataille. Mais je ne prétends pas pour cela qu’avant de se connaître il ne fût pas ; je ne prétends pas qu’avant d’être comme lui, c’est-à-dire pour lui, il ne fut pas comme substance. Or je sais que, dans la substance universelle où le moi avant de se connaître était ontologiquement contenu, il n’y avait pas de combat ; mais je ne traite pas de la substance, ce n’est point là une question psychologique.

« La recherche des principes de ce monde n’est pas une recherche où l’on puisse procéder analytiquement, c’est-à-dire par observation. Si je faisais de la synthèse, je commencerais par poser la substance éternelle : je vous montrerais comment du sein de cette substance éternelle sortent les deux grandes apparitions de l’homme et