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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 61.djvu/357

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monnaies éprouver des variations plus grandes, des altérations plus profondes ; mais la hausse et la baisse alternatives du cours des espèces, déformées et refrappées sans être refondues, n’avaient pas suivi la marche régulière, calculée, méthodique, on pourrait dire scientifique, qui donne aux réformes monétaires de 1689 à 1715 un caractère particulier.

On estime que fa France avait, au temps de Colbert, 500 millions de livres de numéraire : les monnaies transformèrent et émirent, en 1689, 466 millions d’espèces ; en 1693, 483 millions ; en 1701, 321 millions ; en 1704, elles ’reçurent et réformèrent 175 millions, et, en 1709, elles reçurent 288 millions d’espèces avec 38 millions de billets de monnaies à retirer de la circulation. Mais ces sommes sont exprimées en livres, dont la valeur est différente pour chacune d’elles ; leur rapprochement ne fournit donc aucune indication utile. Pour les rendre comparables et par suite significatives, il faut rechercher, par un calcul d’ailleurs très simple, la quantité d’or ou d’argent exprimée en francs que contenait chacune d’elles. On voit alors que le numéraire, du temps de Colbert, valait 940 millions de nos francs ; que les monnaies transformées et émises en 1689 valaient 782 millions, celles de 1693, 734 millions ; celles de 1701, 321 millions ; celtes de 1704, 285 millions, et celles de 1769, 472 millions. Chaque réforme monétaire ne comprit qu’une partie plus ou moins considérable, et, le plus souvent, décroissante du numéraire en circulation ; non qu’il eût autant diminué, mais parce qu’une partie était transformée, soit en France, soit à l’étranger, par l’industrie des billonneurs disputant à l’état le profit de l’opération, et qu’une autre partie restait enfouie dans les caisses privées, qui refusaient de s’en dessaisir par des motifs divers, et, malgré tous les efforts qu’on faisait pour l’attirer aux Monnaies par des prix relativement avantageux.

Quel que fût d’ailleurs le numéraire resté dans la circulation, il fut souvent détourné de sa fonction économique et commerciale. De 1689 à 1718, il fallut le transporter cinq fois des caisses privées aux Monnaies, pour le> reporter ensuite des Monnaies aux caisses privées après qu’il avait été réformé : ces mouvemens en rendaient une partie stérile et inactive. On ne peut donc s’étonner qu’on se plaigne constamment de la disette du numéraire. Les deux volumes, aujourd’hui publiés, de la Correspondance du contrôleur-général, sont remplie des réclamations et des doléances des intendans sur le manque d’espèces, sur la stagnation et la ruine du commerce.

Le trésor réalisa-t-il du moins un bénéfice qui puisse, non justifier, mais expliquer l’obstination avec laquelle l’administration des finances persévéra, sous trois contrôleurs-généraux, dans une voie si funeste ? Il résulte des récapitulations des fonds du trésor que les