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d’information plus exacts et peignait ses études entièrement d’après nature. Séduit par les avantages et la simplicité de cette pratique, Claude s’empressa d’y recourir, et ses tentatives antérieures facilitèrent’ ses rapides progrès.

Unis par cet amour pareil de l’étude d’après nature, les deux jeunes gens prenaient plaisir à se retrouver toutes les fois qu’ils le pouvaient pour travailler ensemble dans la campagne, dans ces belles villas qui, aux portes mêmes de Rome, offrent aux peintres les motifs les plus pittoresques et les plus variés, notamment dans les jardins du prince Giustiniani, dont les grands arbres et les eaux courantes étaient justement admirés. Peu à peu leur attachement était devenu de plus en plus vif, et, comme gage de leur mutuelle amitié, ils échangeaient entre eux leurs meilleures études. Sociables comme ils l’étaient tous deux, ils étaient devenus le centre d’un groupe de paysagistes qui se joignaient à eux dans leurs excursions. Pendant qu’il fréquentait à Utrecht l’atelier de Honthorst, Sandrart avait pu connaître quelques élèves de Bloemaert. Parmi ceux-ci, Poelemburg, le premier, avait émigré en Italie, où il devait être bientôt suivi par Saftleven, H. Swanevelt, les frères Both et W. de Heusch. Sandrart servit sans doute d’introducteur auprès de son ami à la plupart de ces italianisans, qui tous allaient devenir les sectateurs ou même les élèves de Claude. De son côté, celui-ci était probablement déjà lié avec un artiste qui, par son humeur joviale et son esprit naturel, servait de boute-en-train à toute cette jeunesse. Pierre de Laar, il Bamboccio, comme on l’avait1 surnommé, appartenait à une famille honorable de Harlem, et il avait reçu une éducation distinguée. Fixé à Rome depuis 1623, il devait y passer seize années. Son mérite et son amabilité lui avaient valu l’affection de tous ses confrères. Difforme, d’un aspect très étrange, — la tête enfoncée dans la poitrine, le haut du corps très-petit et tout en jambes, — Pierre de Laar plaisantait lui-même de sa tournure ; et, avec une bonne grâce parfaite, il se prêtait à des charges d’atelier dont Sandrart nous a conservé le souvenir. Bon musicien d’ailleurs, il était, comme peintre, doué d’une telle mémoire et d’une telle facilité qu’il lui suffisait de regarder un objet pour en reproduire, même longtemps après et avec une grande fidélité, la forme et la couleur.

À côté de ce gai compagnon et de son ami Jean Miel, Sandrart rencontrait aussi auprès de Claude un artiste de plus noble race, plus âgé, déjà célèbre, et respecté de tous. Malgré sa gravité, sa vie austère et retirée, Poussin se plaisait, en effet, dans la compagnie de Pierre de Laar, dont il estimait le caractère et le talent, et il se laissait dérider par ses joyeusetés. Ces relations de Claude avec Poussin, sur lesquelles Mme Pattison semble émettre quelques doutes,