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— Oh ! nous le lui ayons dit déjà plus de dix fois, et sa réponse… pardon, miché, sa réponse n’a été que de cracher par terre.

Il fallut appeler la mariée, mademoiselle elle-même. Elle s’avança dans ses voiles blancs. Et Bras-Coupé de tomber à plat ventre, le bout de ses doigts d’ébène touchant la pointe des petits souliers de satin. Elle le pria doucement d’aller s’habiller et il y alla.

Et maintenant voilà Bras-Coupé qui revient, dépassant tout le monde de la tête au moins, dans un ridicule uniforme bleu et rouge, mais avec cet air de dignité sauvage qui empêche de rire les plus moqueurs. Le murmure d’admiration qui circule dans la galerie pleine de monde arrive jusqu’à Palmyre ; le cœur de la quarteronne bat à coups redoublés. Oui, elle laissera ce héros la mener devant le prêtre, auquel, pas plus que lui-même, elle ne croit, et, ensuite, sa ruse saura bien la préserver de ce qu’elle redoute plus que la mort, tout, en lui assurant le pouvoir de diriger ce bras intrépide pour frapper à son gré ici ou là, l’heure une fois venue :

— Il cherche Palmyre, dit quelqu’un. — Au moment même, il la vit et son cri de joie fut un rugissement. Tous les hommes sortirent pour voir ce qui se passait. Il avait pris la main de sa fiancée, posé son autre main sur la tête de celle-ci, puis, battant la mesure lentement de son pied nu, il chantait en créole pour que chacun pût entendre cette déclaration :

En haut la montagne, zami,
Mo pé coupé canne, zami,
Pou’ fé l’azen, zami,
Pou’ mo baille Palmyre.
Ah ! Palmyre, Palmyre mo c’ère,
Mo l’aimé ou’ — mo l’aimé ou’.


Et rien n’était plus curieux, plus pitoyable que ce jargon enfantin dans la bouche du lion asservi.

Montagne ? dit un esclave à un autre, qui ci ça, montagne ? gnia pas quiç ’ose comme ça dans la Louisiane.

Mein ye gagnein plein montagnes dans l’Afrique, répondit le second nègre. Écoutez ! Bras-Coupé avait repris d’une voix de stentor :

Ah ! Palmyre, Palmyre, mo piti zozo,
Mo l’aimé ou’ ! — Mo l’aimé, l’aimé ou’.


— Bravissimo !