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la France et de se livrer un peu moins aux violences, aux passions, aux préjugés, aux plus vulgaires calculs de parti. Le malheur est qu’en ce temps-ci les paroles ne sont le plus souvent que des paroles qui déguisent étrangement la réalité des choses. On parle fréquemment de concorde en faisant tout ce qu’on peut pour semer les divisions et les irritations. On prodigue les déclarations de libéralisme en violentant tous les sentimens, en s’armant de légalités oppressives, en abusant de l’arbitraire. On couvre d’un voile d’intérêt public les plus singuliers gaspillages des ressources et du crédit du pays. On fait comme M. le président du conseil, qui se croit certes un homme de gouvernement, de modération et qui choisit la dernière heure de la dernière séance parlementaire de décembre pour offrir comme cadeau à la nouvelle année, — quoi donc ? — une question à laquelle personne ne pensait plus, qui ne promet que des agitations inutiles, la question même d’une réforme constitutionnelle. C’est, en vérité, ce qui s’appelle avoir de l’à-propos et agir avec la prévoyance d’un chef de gouvernement !

Par quel étrange coup de tactique ou par quel entraînement d’esprit M. le président du conseil s’est-il fait un jeu de réveiller à l’improviste, à la veille d’une année nouvelle, cette question de la révision qui ne porta pas bonheur au ministère de M. Gambetta ? Ce n’est pas la première fois que M. Jules Ferry prouve qu’avec certains dons d’un politique, il reste un homme de peu de jugement et d’expédient, que, malgré tout, il ne réussit ni à fixer ses idées, ni à mesurer ses résolutions. A-t-il cru habile cette fois de tenter une diversion inattendue pour déconcerter ses adversaires de la chambre, pour obtenir d’un seul coup ce qu’il demandait, d’accord avec le sénat, le rétablissement dans le budget du traitement de M. l’archevêque de Paris et des bourses des séminaires ? Ce n’était pas évidemment bien nécessaire. Il y avait, on le sentait, une majorité disposée à ratifier ce que le sénat avait fait, ne fût-ce que pour en finir sur l’heure, pour éviter ce qu’on a appelé « l’humiliation des douzièmes provisoires. » Le chef du cabinet n’avait pas besoin d’employer de si grands moyens, des moyens si disproportionnés, pour conquérir le vote. Il s’est donné le plaisir d’opérer un mouvement tournant d’une stratégie douteuse. Il s’est exposé à sacrifier la paix publique de l’avenir pour une petite et facile victoire du moment présent. Voilà une singulière prévoyance ! — M. le président du conseil, dit-on, a pris des engagemens qu’il a inscrits dans son programme à son arrivée au pouvoir ; il a voulu dégager sa parole sans laisser aux initiatives particulières le temps de se produire ; il a tenu à devancer tout le monde, à s’exécuter comme il l’avait promis. C’est un beau scrupule de la part de M. le président du conseil ; mais ces engagemens dont il parle, avec qui les avait-il pris ? C’est apparemment avec la chambre ou avec l’opinion générale dans le