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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 61.djvu/60

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également inattendu, d’un émissaire du maréchal de Königseck, demandant enfin lui-même l’entrevue qu’il avait tant de fois refusée.

La joie est un calmant qui apaise, au moins pour un moment, les nerfs les plus agacés ; et, d’ailleurs, il fallait bien se voir et s’entendre pour faire face à ce changement inespéré. « La reine met de l’eau dans son vin, » je l’avais toujours pensé, dit Broglie, à qui sa confiance en lui-même avait, en effet, toujours conservé un fond d’espérance. Belle -Isle était moins pressé de se réjouir ; cependant, comme l’invitation lui était adressée à lui personnellement, il consentit volontiers à se charger encore d’une commission désagréable à laquelle son collègue se reconnaissait lui-même médiocrement propre.

Je ne sais si le général autrichien s’était imaginé que sa police était assez bien faite autour de la ville pour avoir arrêté toutes les informations au passage, ou s’il voulait simplement masquer par un surcroît de hauteur un mouvement de retraite ; mais, toujours est-il qu’il se montra plus raide et moins poli, dans cette nouvelle conférence, que dans la première. Il feignit d’avoir reçu une lettre suppliante des principaux habitans de Prague le conjurant de leur épargner les horreurs d’un bombardement. « Au moment de commencer cette exécution décisive et meurtrière, la reine, dit-il, sensible aux maux de ses sujets de Bohême, et par répugnance pour l’effusion du sang, voulait bien essayer encore un moyen de conjurer une douloureuse extrémité. Elle consentirait à laisser sortir l’armée française de Prague, avec ses armes et tous ses effets, moyennant l’engagement pris par les officiers comme par les soldats d’évacuer non-seulement la Bohême, mais toute l’Allemagne, et de ne plus servir dans la guerre présente pendant un temps dont on conviendrait ; la même condition serait imposée également à l’armée du Danube. »

La surprise et l’indignation coupaient la respiration à Belle-Isle, qui le laissa achever sa harangue sans l’interrompre. « Vous ne répondez rien ? dit enfin l’Autrichien, surpris de son silence.— Je ne réponds rien, dit Belle-Isle, parce qu’il n’y a rien à répondre à de telles propositions. » Puis, reprenant son sang-froid, il retrouva l’éloquence de ses meilleurs jours. « Combien de batailles avons-nous perdues, s’écria-t-il, pour que mous soyons obligés d’entendre un tel langage ? Êtes-vous déjà maîtres de Prague pour nous commander d’en sortir ? La place est mauvaise à défendre, je l’avoue, mais toutes les places sont bonnes quand elles sont défendues par des gens de cœur. Tant que nous aurons de la poudre et des balles, vous ne devez pas vous flatter d’être maîtres de nous ; nous sommes quarante mille Français, dont douze mille valets, à la vérité, mais