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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 61.djvu/684

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compliquée, et sa description nous obligerait à nous lancer à travers une nomenclature barbare dont nous avons fourni déjà bien assez d’échantillons. Il suffit de dire qu’un corps organique azoté cède son azote à haute température, que l’hydrogène s’y combine et qu’il se dégage de l’ammoniaque. C’est le chlorhydrate de naphtylamine qu’on a employé ; on recueille le chlorhydrate de rosanaphtylamine, qui est, on le voit, l’homologue de la fuchsine. Comme la fuchsine, le nouveau corps est facilement cristallisable et fournit une belle teinture rose. Ce rose est plus clair et moins violet que celui de la fuchsine : il est terne appliqué à la laine, mais il donne à la soie des reflets très brillans. Dissous dans l’alcool, il produit un étrange et merveilleux effet. Le liquide devient d’un rouge éclatant, et, suivant la manière dont on le présente à la lumière, on le voit traversé de nuages phosphorescens. Laissez-le reposer et attendez que l’alcool se soit lentement évaporé : le vase sera tapissé de belles aiguilles vertes à reflets irisés.

La naphtaline a fourni encore des composés très complexes, azotés, d’où l’industrie a tiré des colorans jaunes, fort brillans. Le jaune de Manchester et le jaune de Martin s sont les plus connus. On a voulu sur la rosanaphtylamine répéter les expériences de M. Girard et de Laire, substituer des molécules de radicaux organiques à des atomes d’hydrogène. L’expérience a réussi, mais les couleurs bleues obtenues jusqu’à présent n’avaient ni grande fixité ni grand éclat.

Nous arrivons à la fin de notre récit des découvertes de produits colorans fournis par la houille : la dernière est peut-être la plus extraordinaire et la plus féconde. Dans le rapport présenté par M. Wurtz, lors de l’exposition universelle de 1878, nous lisons les lignes, suivantes :

« Celui qui fut longtemps le doyen des industriels d’Alsace, M. D. Kœchlin-Schouch, écrivait en 1828 : « De toutes les substances qui servent en teinture, aucune ne mérite autant de fixer notre attention que la, garance, qui est devenue d’un emploi si général qu’elle forme la base de presque toutes nos teintures. » Dans un certain sens, ces paroles sont encore vraies, car le principe colorant de la garance, l’alizarine, reçoit encore aujourd’hui les applications les plus variées. Et pourtant la matière première qui la contient et la fournit, cette garance dont la culture et l’emploi ont fait la fortune de plusieurs contrées, est bien près d’être atteinte dans ses principaux débouchés, et cette décadence d’un produit naturel est due à une des conquêtes les plus étonnantes de la science moderne : l’alizarine est fabriquée aujourd’hui par synthèse. »

Une pareille découverte amène une véritable révolution économique ; la chimie empiète sur. le domaine de l’agriculture. Qui sait