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lorsque vous le voudrez, ce qu’un zèle sans bornes, l’attachement le plus véritable, l’amour de la vérité, quelques études, et quelque méditation soutenue d’une expérience de près de cinquante ans, peuvent m’avoir acquis de connaissances au service de Votre Majesté et au bien de son royaume. Mais, si vous voulez, Sire, qu’on rompe le silence, c’est à vous de l’ordonner[1]. »

La réponse, qui ne se fit pas attendre, n’était pas faite non plus pour décourager le maréchal. Le roi lui assurait bien encore qu’il avait consulté le cardinal et obtenu son assentiment aux mesures militaires qui lui étaient proposées ; mais il. était moins probable, et Louis XV ne disait nullement qu’il eût donné connaissance à personne du post-scriptum suivant : « Le feu roi mon bisaïeul, que je veux imiter autant qu’il me sera possible, m’a recommandé en mourant de prendre conseil de toutes choses et de chercher à connaître le meilleur pour le suivre. Je serai donc ravi que vous m’en donniez : aussi je vous ouvre la bouche comme le pape aux cardinaux et vous permets de me dire ce que votre zèle et votre attachement pour moi vous inspireront. Je vous connais assez et depuis assez longtemps pour ne pas mettre en doute la sincérité de vos sentimens et votre attachement à ma personne[2]. »

Tous les mots de cette lettre étaient précieux pour l’heureux correspondant qui la reçut, et cependant rien ne dut lui causer plus de joie que l’invocation faite au souvenir de Louis XIV et le dessein annoncé de l’imiter, car rien ne s’accordait mieux avec le plus vif et aussi le plus sincère de ses sentimens. Élevé dans toutes les splendeurs du grand règne, admis de bonne heure dans l’intimité royale, Noailles gardait dans le plus profond de son cœur le culte du demi-dieu qu’avait adoré son enfance ; aucun nuage n’était venu troubler cette pieuse fidélité. Ni les malheurs des derniers jours, suite des entraînemens du pouvoir absolu, ni les modifications déjà sensibles de l’esprit public qui ne permettaient plus à la royauté les allures d’une domination absolue, — aucune de ces leçons de l’expérience, — aucun de ces signes des temps nouveaux ne frappaient l’imagination captivée, et la raison étroite du neveu chéri de Mme de Maintenon. Louis XIV était toujours le modèle unique et accompli, peut-être inimitable du vrai monarque ; le copier, dût-on même ne pas l’égaler, était le seul but qu’on pût proposer au suprême effort de son petit-fils. C’est M. Rousset qui nous raconte qu’admis plus tard dans le conseil royal, quand Noailles prenait la parole, c’était toujours pour commencer par ces mots : « Sire, votre auguste bisaïeul,.. » et que, devant ce refrain attendu, les

  1. Le maréchal de Noailles au roi, 20 novembre 1742. — Rousset, t. I, p. 7-9.
  2. Le roi au maréchal de Noailles, 26 novembre 1742. — Rousset, t. I, p. 11.