Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 61.djvu/760

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Telle fut l’attitude hautaine que Marie-Thérèse maintint envers et contre tous et principalement dans ses rapports avec l’Angleterre. Car c’était sa prétention (peut-être fondée) qu’en lui arrachant sa signature pour le traité de Breslau, l’envoyé anglais, Hyndford, lui avait murmuré à l’oreille la promesse qu’on l’aiderait à réparer ses pertes. Aussi la seule pensée qu’on lui demanderait encore une concession territoriale, si petite fût-elle, la faisait littéralement bondir, et une proposition en ce sens, envoyée de La Haye par lord Stairs, fut accueillie par un torrent d’éloquence si passionnée que Robinson n’osa pas même achever sa communication. Elle ne prit pas avec moins d’impatience et de hauteur une déclaration du cabinet anglais, notifiée à Francfort et à Berlin, et qui semblait promettre en son nom, d’une manière certaine et prochaine la restitution intégrale de la Bavière. Intimidés par cet accueil intraitable, les ministres britanniques osèrent à peine insister. Une telle raideur apportée dans une négociation complexe et délicate, où tant de parties étaient engagées et tant de passions aux prises, en paralysait tous les ressorts et ne pouvait, en définitive, manquer de la faire échouer[1].

C’était bien le dessein de la reine, car tout autour d’elle respirait la guerre. Des avantages importans obtenus au même moment en Italie par les armées réunies du Piémont et de l’Autriche venaient encore exalter ses espérances, et, comme il arrive aux plus nobles natures, dans l’enivrement du succès, une nuance de présomption et d’orgueil commençait à déparer la juste fierté qui avait fait jusque-là le fond de son caractère. Elle ne craignait pas le ridicule de s’occuper personnellement des moindres détails de l’armement de sa troupe et da donner de sa propre main, pour les mouvemens militaires, ses instructions à ses généraux. Son extérieur même, ses habitudes, jusqu’à ses délassemens, prenaient je ne sais quel air mâle, presque martial, qui aurait étonné naguère la jeune fille assise au foyer paternel, et la jeune mère veillant auprès du berceau de ses enfans.

« Le 2 janvier, raconte Robinson, il y eut un grand carrousel en l’honneur de la prise de Prague. La reine y figura en personne avec les dames de sa cour ; il y avait huit cavalières à cheval et huit

  1. Robinson à Carteret, 14 octobre 1742, 13 mars, 6 avril 1743. (Correspondance de Vienne. Record Office.) — La correspondance de Bussy, ministre de France à Londres, fait voir que le cabinet anglais n’a jamais cessé de désirer la paix au moyen de concessions faites par Marie-Thérèse, mais qu’il n’osait pas les proposer lui-même à cause des engagemens pris par Hyndford au moment du traité de Breslau. Il chargea notamment une fois le ministre de Prusse de faire la proposition à sa place en lui expliquant son embarras. — Bussy à Araelot, 13 décembre 1742. (Correspondance d’Angleterre. Ministère des affaires étrangères.) — D’Arneth, t. II, p. 204, 205, 507.