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ministres ; mais il s’agira de n’insérer aucune question qui puisse de près ou de loin exciter l’inquiétude de l’orthodoxie la plus sévère ; il faudra au conseil des ministres un théologien comme en avait autrefois la république de Venise. Quel sera le théologien du conseil des ministres ? Je l’ignore ; mais j’affirme qu’il y en aura un. On consultera quelqu’un, un peu dans l’ombre peut-être. Il faudra aussi un philosophe en qui on ait confiance pour éclairer le conseil et son illustre président sur la portée souvent cachée, sur la portée de ces malheureuses questions qui en contiennent beaucoup plus qu’elles n’en disent et sous lesquelles d’habiles gens, ces tyrans du conseil de l’université, auront caché un imperceptible venin. La discussion qui aura lieu à cet égard entre MM. les ministres sera certes d’un grand intérêt. Je ne suis pas curieux ; mais j’avoue que je voudrais bien assister à la séance du conseil où l’on rédigera définitivement le programme des questions philosophiques. »

Malgré les efforts et l’éloquence de Cousin, l’amendement proposé par la commission, accepté par le ministre, fut voté par la chambre des pairs. Ainsi, en 1844, un des grands corps de l’état reculait devant une philosophie laïque et cartésienne ! Car c’était bien là le sens du vote précédent. A coup sûr, ce n’était pas pour augmenter la liberté philosophique que la chambre des pairs renvoyait au roi et au conseil des ministres le programme de philosophie. Bien loin de là ; le rapporteur demandait au contraire que « l’enseignement de la philosophie fût, non-seulement réservé, mais uniforme ; » il disait que, « l’université, étant un corps, devait répondre de ses professeurs et en rester le législateur et l’arbitre. » C’était dans un sens de restriction que l’on voulait exclure la philosophie de Victor Cousin. Ce que l’on condamnait dans cette philosophie, c’était de toucher aux matières religieuses sans relever de la religion. Ne pouvant pas avoir une philosophie catholique, on aimait mieux ne pas en avoir du tout ou n’en avoir que très peu.

Telle fut la mémorable discussion de 1844, où Cousin défendit non-seulement sans faiblesse et sans fléchir un instant, mais peut-être même avec exagération et quelque intolérance le principe de la laïcité. Serait-il revenu plus tard sur cette doctrine lorsqu’une grande crise politique, poussant à l’extrême le principe de la démocratie et faisant apparaître d’une manière subite le gouvernement républicain, précipita tant d’esprits éclairés et libéraux du côté de la réaction religieuse ? On le croit généralement. Voyons les faits. La révolution de février trouva Victor Cousin à l’état de disgrâce. La rupture avait été en s’accusant de plus en plus entre ses amis et le ministre. Il était alors avec M. Thiers dans l’opposition ; et