Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 61.djvu/944

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

catéchisme ; en tout cas, elle aurait eu pour moniteurs quelques matelots, et l’on ne nous dit pas que le quartier-maître Martin, si bonhomme qu’il soit, ait sur ces matières une vigilance toute spéciale. Nous y consentons pourtant ; nous acceptons Smilis telle quelle, avec « cette honnête et pudique ignorance. » A la rigueur, nous nous disons qu’un vaisseau de l’état est un cloître flottant, et qu’à voir, vers la fin de la journée, l’amiral Kerguen ou le quartier-maître Martin se mettre tout seul dans son hamac, Smilis a reçu moins de lumières sur la vie conjugale que la petite fille la plus chastement élevée n’en reçoit de ses père et mère. Nous admettons que, ni dans les semaines qui précèdent le mariage, ni dans les mois qui suivent, il ne s’est trouvé ni une amie ni une servante pour faire glisser un rayon à travers cette nuit d’innocence. Nous prenons pour vérités toutes ces invraisemblances matérielles et nous les colorons d’excuses ; nous tenons Smilis pour ce qu’elle est d’après la définition de l’auteur : — une seule petite chose nous fâche, c’est qu’elle n’est pas dramatique.

Ah ! si elle s’apercevait au moins, après cette enfantine nuit de noces, que son mari n’est pas heureux ; si la pitié inquiétait un peu son affection pour lui et l’inclinait vers l’amour ! Ou bien, puisqu’elle est aimée d’un jeune homme et qu’elle l’a remarqué, si la passion éclatait en elle comme éclate la fleur de l’aloès et lui révélait soudain qu’elle est femme ! Mieux encore : si l’un et l’autre sentiment se faisaient jour dans son âme et se la disputaient et la déchiraient jusqu’à ce que l’un ou l’autre s’en fît maître et la gardât tout entière, elle aurait passé par une crise d’un état moral à un autre et sa marche serait un drame ! Mais point ! cette figurine demeure où l’auteur l’a d’abord placée.

Au premier acte, Smilis a déclaré : « Je ne veux pas d’autre mari que papa. » Au second, elle n’a pas avancé d’une ligne, et nous voyons, d’ailleurs, qu’elle était plus retardée que nous ne pensions ; « Hier, dit-elle à peu près, on m’appelait mademoiselle ; aujourd’hui, l’on m’appelle madame : voilà toute la différence. Autrefois, j’étais une enfant ; on me mit un voile blanc pour ma première communion, et je devins une jeune fille ; on m’a remis un voile blanc pour mon mariage, et me voilà une jeune femme. Bonsoir, mon père ! » Ainsi, la pièce aurait un prologue où l’on verrait Smilis en première communiante, que, du commencement de ce prologue à la fin de ce deuxième acte, — l’héroïne elle-même nous le confesse, — le progrès ne serait pas sensible : à coup sûr, il ne l’est pas du premier acte au second.

Dans le troisième, Smilis ne change pas davantage : elle vaque aux soins de la maison et fait la madame J’ordonne sans le moindre embarras de ce qu’elle n’est que mademoiselle ; elle ne ressent aucun malaise, elle n’éprouve aucun doute sur le peu de naturel d’un état de virginité