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l’exhorte en vain, vieillard, il n’est pas si difficile de mourir ! » Et le prêtre, penché sur lui, reprend : « Il est mort. Son âme a fui loin de la terre. Où donc ? Je crains d’y penser, mais elle a fui. » C’est un peu sec ; Schumann l’a senti. En deux pages de musique sacrée, par un Requiem à peine murmuré sur des orgues lointaines, il donne à ce crépuscule funèbre une solennité grandiose. Manfred expire, et le Lux œterna, s’épanouissant avec la reprise de l’orchestre, jette sur la fin de ce poème sceptique et désespéré un suprême rayon d’espérance et de foi.


V

Nul poème, fût-ce Manfred, ne s’imposait comme Faust au maître de Zwickau.

Le Faust de Schumann ne contient que trois courtes scènes tirées du premier Faust de Goethe. Si belle que soit l’une d’elles, la scène de l’église, nous n’y insistons pas. C’est de la seconde partie du poème allemand que le musicien s’est presque exclusivement inspiré ; là s’est concentré son génie. Loin de nous la pensée de tout louer, ou seulement de tout expliquer dans le second Faust de Goethe ! Il est plein de bizarrerie, de confusion et de défaillances, mais on y rencontre encore d’incontestables beautés. S’il ne pouvait, comme le premier, passer tout entier de la poésie dans la musique, il offrait encore aux compositeurs quelques scènes admirables où Goethe s’était souvenu de lui-même. Ces fragmens, qui nous restent à examiner, sont la scène du sommeil et du réveil de Faust, la scène avec le Souci, la mort de Faust et le grand épilogue du paradis.

Au point de vue philosophique, selon la logique supérieure de l’idée, le premier Faust n’est qu’un détail dans l’ensemble. L’histoire de Marguerite, bien qu’elle ait effacé tout le reste, est dans le plan général un épisode et rien de plus, La volupté, (‘amour ne suffisent pas à remplir une vie, et surtout la vie de Faust, Son âme est avide d’autres jouissances et capable d’autres épreuves. A la politique, à l’art, à la philanthropie, aux passions généreuses et bienfaisantes, il demandera le secret du bonheur, et la mort ne viendra pas si tôt arrêter sa recherche infatigable.

Après avoir laissé Marguerite inanimée sur les dalles de l’église, Schumann, par un contraste puissant, ouvre la seconde partie de son Faust sur un paysage des Alpes. Après les voûtes étouffantes, le grand air et le ciel bleu. Comme Berlioz, Schumann a fait dans son œuvre une large part à l’amour de la nature. Il a, comme lui, mis en lumière cet aspect du génie de Goethe, ce sentiment tout