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passer en conseil de guerre. Cependant on le pressait d’avouer son crime, et la ruse de la reine se dressait contre lui : il laissa échapper, devant la cassette, qu’il ne reconnaissait point les nippes. Le roi se douta bien d’où partait le coup et sa rage redoubla contre le frère et la sœur.

L’histoire du mariage de la princesse Wilhelmine revient ici se mêler d’une façon presque burlesque à la tragédie de famille. Le roi était résolu à se délivrer d’une fille odieuse. Il n’hésitait que sur le choix du moyen. Il parlait souvent de lui faire couper la tête et prenait soin qu’elle ne l’ignorât pas; mais il savait fort bien que ce n’était pas si simple que cela, et puis il était juste; si sa fille était haïssable, elle n’avait pas déserté. Il songea de nouveau à un couvent. Il s’arrêta enfin au parti de la marier, de gré ou de force, à l’un des prétendans repoussés par la reine; il soupçonnait celle-ci d’avoir trempé dans l’affaire de la cassette et souhaitait encore plus que de coutume de lui être désagréable. Le roi commanda donc à ses créatures de harceler la princesse Wilhelmine dans sa prison, et ses créatures s’en acquittèrent en conscience. Il en venait à toute heure, il en venait de si grand matin que la princesse, en ouvrant les yeux, apercevait devant son lit un messager du roi, chargé de lui donner le choix entre le margrave de Schwedt et la mort. Ou bien c’était un couvent affreux, un cachot dans une forteresse; c’était la vie de son frère remise entre ses mains : le roi ferait grâce à Frédéric si sa sœur se soumettait et obéissait; l’exécution était certaine si elle s’opiniâtrait. Sa répugnance pour le margrave de Schwedt était-elle trop forte, elle pouvait prendre le duc de Weissenfels; elle pouvait même prendre le margrave de Bayreuth, le fiancé d’une de ses cadettes; le roi l’y autorisait, et le jeune couple n’aurait pas le cœur assez bas pour se regretter quand il y allait de la paix de la famille royale. Je crois que peu importait, en effet, aux fiancés, et qu’ils ne s’étaient même jamais vus.

La prisonnière résistait. Non qu’elle rêvât encore son beau roman d’un mari aimé et amoureux: l’expérience lui avait enfin donné une notion plus juste des mariages princiers. Elle résistait parce que sa mère le lui ordonnait et l’en implorait, et qu’elle voyait bien que l’espoir du mariage anglais était le soutien de cette pauvre femme dans ses cruelles tribulations. C’était la revanche de la reine, caressée près de vingt ans et si bien méritée, que sa fille sacrifierait en cédant au roi. Sans la pensée de son frère, elle se serait sentie invincible. La mort l’effrayait peu: son père avait pris tant de soin de la détacher de la vie, qu’elle n’y tenait plus que par l’héroïsme d’espérance de la jeunesse, qui ne veut pas croire que ce puisse être fini à vingt ans. Le cloître n’était pas une menace sérieuse et la prison l’attirait plutôt. Sa prison actuelle était un abri, en dépit