Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 96.djvu/350

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tant que, persistant dans le dessein d’enlever aux héritiers de Charles-Quint la dignité impériale, elle poursuivait, à tort ou à raison, un avantage moral qui pouvait en tenir lieu ; mais, le but primitif une fois manqué, et la maison d’Autriche remise à la tête du saint-empire, c’était par un accroissement de force et de moyens de résistance qu’il fallait faire tête à sa jeunesse renaissante et à sa vigueur ressuscitée. D’ailleurs, à l’autorité très ébranlée du glorieux vaincu de Prague, Noailles put tout de suite en opposer une autre, plus en mesure de se faire écouter, celle du vainqueur de Fontenoy, dont il était demeuré l’ami, le confident et souvent le conseiller.

Maurice, à peine arrivé à Versailles, prenait, en effet, en mauvaise part, et le disait très haut, la proposition de déclarer par avance que tout le fruit de ses exploits devait s’en aller en fumée. — « Les Anglais et les Hollandais seront, disait-il avec son bon sens énergique, les premiers à se rire (il se servait d’une autre expression) de notre prétendue modération et n’y verront qu’un manque de courage ou le défaut de moyens de continuer la guerre. » — Enfin, qu’est-ce que Noailles n’aurait pas pu ajouter s’il avait su qu’au même moment Frédéric haussait les épaules du rôle de dupe que se donnait la France, en disant aux échos, par avance, qu’elle était prête à se contenter à si bon marché ? Ce grand connaisseur en fait de manière de tirer parti de la victoire ne pouvait même se tenir de faire parvenir charitablement son avis à l’oreille de d’Argenson : « M. de Borkh, écrit Valori le 19 février, m’a dit, il y a deux jours, qu’il avait à me gronder de la part du roi, son maître, sur la trop grande modération de la France, qui ne demandait pour faire la paix que la restitution du cap Breton et offrait d’évacuer toutes ses conquêtes. — C’est en vérité trop, et il semble juste au roi, mon maître, que vous gardiez Ypres, Fume et Tournay. » — Quel appui l’avis d’un si bon juge n’aurait-il pas apporté aux réclamations de Noailles et de Maurice, s’ils l’avaient connu ! Et au fait, peut-être ne l’ignoraient-ils pas, car on ne se gênait pas (nous le savons) pour parler tout haut de tout à Berlin[1].

Tels étaient les argumens développés de part et d’autre et que j’ai cru utile de résumer, même au prix de quelques longueurs,

  1. Tron, ambassadeur de Venise à Paris, 14 mars 1746. — Valori à d’Argenson, 19 février 1746. (Correspondance de Prusse. — Ministère des affaires étrangères.) — Les divisions du conseil de Louis XV sur le point de savoir si on devait garder les conquêtes sont rapportées aussi par Chambrier, 14 mars 1746. « Les uns disent qu’il faut regagner l’amitié de la Hollande en faisant oublier l’ambition de Louis XIV ; d’autres que la Hollande ne nous aimera jamais et qu’il faut lui faire pour en gardant le moyen de lui tomber sur le corps. »