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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 96.djvu/364

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reviremens subits ; elle a connu deux systèmes, également remarquables, également animés d’un ardent désir du progrès. L’un, fondé sur une impitoyable énergie, sur un exercice absolu de l’autorité, sur une recherche persistante de la valeur intrinsèque des hommes, faisant volontiers litière des considérations philanthropiques, avait semé dans l’arme entière une activité dévorante et une impulsion vraiment extraordinaire. Le secret mobile était peut-être un enthousiasme mélangé de quelque terreur, mais les effets étaient incontestables et généralisés. L’autre essentiellement bienveillant, circonspect, presque timide, cherchant son point d’appui en la constatation des connaissances purement théoriques, inspirait, il est vrai, une quiétude inaccoutumée, une allure discrète et calme, sous lesquelles ne tardèrent pas à se glisser les principes dissolvans d’une stagnation dangereuse. Ce n’étaient pas là les seules ni les principales différences. Le premier système, sacrifiant l’intérêt des personnes à celui des institutions, agissait par une sélection violente, mais judicieuse, car il ne prenait pas seulement pour base le décevant appareil des formules acquises, mais bien la valeur innée de l’individu, dégagée des qualités manufacturées que peuvent produire le travail et la mémoire réunis. Le second, au contraire, ne s’appliquait pas tant à pénétrer la nature des hommes qu’à apprécier leurs mérites superficiels, par la rigoureuse analyse de leurs travaux et de leurs efforts. L’un s’attachait aux actes et l’autre à l’examen.

L’adoption projetée de la retraite proportionnelle, ou simplement d’une situation nouvelle pour les officiers quittant l’armée avant trente ans de services, permettra, sans doute, de transformer cette élimination jusqu’alors exceptionnelle ou blessante, en une dérivation normale, méthodique et par tous acceptable. Mais qui prononcera sur cette élimination nécessaire ? quelle sera l’épreuve et quels seront les juges autorisés ? Dans les divisions de cavalerie indépendante, dès le temps de paix organisées et instruites en fortes masses, les élémens d’appréciation, de comparaison, de compétence, abondent. Dans les brigades de corps, isolées, disséminées par régimens, livrées à elles-mêmes, sans impulsion centrale, sans réunions annuelles où puiser l’esprit et la note de l’arme, ces élémens font défaut. Une fois par an, un inspecteur général, laissé pendant tout le reste du temps sans commandement effectif, sort de cette retraite anticipée pour venir procéder à des opérations méticuleusement définies, et, pour la plupart, purement administratives. Encore se gardera-t-il de s’élever contre les idées particulières du commandant de corps d’armée, dont il n’est pour ainsi dire que le délégué. Pourtant cette opération sommaire suffit ; c’est la seule sanction et la seule garantie. On