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et âme, jusqu’à épuisement complet de ses forces, la maladie finit par avoir raison de sa répugnance pour la vie trop douce et trop facile qui lui est offerte ; ses amis lui représentent qu’une paroisse de douze cents habitans n’est pas, après tout, une sinécure, qu’il y a des âmes à sauver hors des villes ; sa mère lui répète avec une affectueuse brusquerie que, pour faire du bien en ce monde, il ne s’agit pas de commencer par se tuer ; bref, au sortir d’une longue convalescence, il accepte à contre-cœur le bénéfice de Murewell. C’est sur ces entrefaites qu’il rencontre Catherine et qu’il se sent attiré irrésistiblement vers cette jeune fille qui s’est, elle aussi, consacrée à une tâche tout évangélique dans le cercle étroit qui lui est assigné. Elle est l’héritière des idées de son père, le plus doux des fanatiques, qui avait en lui du quaker pour les scrupules et qui faisait passer avant toutes choses la nécessité de la foi, au point de se refuser à toute relation, même fugitive, avec un incrédule. Richard Leyburn a élevé ses filles selon ces principes ; il les a reléguées dans une campagne lointaine pour les préserver des périls du monde ; il a nourri la croyance mystique que, par leurs vertus, elles expieront les péchés des ancêtres, ces rudes paysans aux passions sans frein. Les deux plus jeunes ont perdu ce guide austère trop tôt pour se rappeler beaucoup les préceptes paternels, mais Catherine y conforme rigoureusement sa conduite. Il semble que tout pasteur doive ambitionner une telle compagne.

C’est l’opinion de Mrs Thornburgh, qui met les picnics et les promenades au service de sa diplomatie, comme il convient dans ce pays pittoresque, où l’on ne peut offrir à ses invités de meilleures distractions. Elle s’est assuré facilement la complicité d’Agnès et de Rose, car toutes les jeunes filles s’intéressent à la moindre apparence de roman, même quand il s’agit du roman d’autrui. Mais Robert réussirait bien à se rapprocher de Catherine, sans le secours de pareils manèges : il la guette sur les chemins qu’elle prend pour aller voir les malades ; il l’accompagne au chevet de ces pauvres gons, qu’il exhorte et console devant elle, gagnant ainsi chaque jour davantage son estime, sa confiance. Catherine en vient à causer avec lui plus ouvertement qu’elle ne l’a jamais fait avec personne, lui confie ses perplexités, prend ses conseils. Le grand problème de la vie de cette sœur ainée, c’est Rose et son violon ; elle se demande s’il est permis à une chrétienne de passer les quelques années accordées au combat de l’existence terrestre en vains efforts pour acquérir un talent qui ne sert qu’au plaisir des sens ; elle se reproche d’avoir permis les visites de Rose, à Manchester, chez des parens qui lui procuraient l’occasion d’étudier. C’est de Manchester que l’enfant a rapporté ces allures, ces