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Mais peut-être qu’il n’était pas indispensable, pour parler des frères de Goncourt, d’ébaucher une théorie générale de la a sensibilité dans la production artistique, » ou, pour louer convenablement les Poèmes antiques et les Poèmes barbares, d’exposer en quelques pages le système général de la métaphysique indoue. Oserai-je ajouter que de ces deux théories, telles que je les trouve dans le livre de M. Spronck, si la seconde est bien incomplète, bien confuse, et bien peu conforme à l’exactitude historique, la première est bien superficielle ? A plus forte raison, parce que la question est encore plus difficile, sont-elles bien incomplètes et bien superficielles aussi, les quelques pages de ce livre où M. Spronck nous a donné sa Théorie de l’art en général. M. Spronck a des idées, mais je crains qu’elles ne soient pas encore assez mûres, qu’il n’en ait pas vu toutes les liaisons, toutes les conséquences, qui vont parfois à l’infini, comme dans la question de l’art pour l’art, et je crains encore qu’il ne soit assez sûr ni de leur vérité, ni de ce qu’il en pensera lui-même « dans quelques années, dans quelques mois, demain peut-être. » C’est d’ailleurs un assez beau défaut que d’avoir trop d’idées, pour que nous le signalions sans crainte ni scrupule de nuire au livre de M. Spronck ; et si le livre en est moins bon peut-être, l’auteur, au contraire, n’en est que plus intéressant.

Puisqu’il est évident que ce siècle est en train de régler ses comptes, et si j’ose employer cette expression familière, de faire le tri de ses gloires, nous espérons donc que M. Spronck n’en restera pas sur ce premier début. Quelques défauts que nous ayons pu signaler dans les Artistes littéraires, c’est un livre curieux, et que nous ne craindrons pas de recommander. Le style en est sans doute un peu pénible, la phraséologie trop embarrassée de termes scientifiques ou philosophiques. Pour la rendre plus facile, plus humaine, M. Spronck n’aura d’ailleurs qu’à faire une de ces transpositions dont il a lui-même ingénieusement parlé. Dans la bonne langue de tout le monde, il trouvera sans peine des équivalens littéraires à ces locutions abréviatives dont les savans peuvent bien user dans leurs laboratoires, ou les philosophes dans leurs écrits, mais qu’il faut laisser à la cabale. Et rien alors n’empêchera d’apprécier à leur juste prix les qualités d’impartialité critique, d’indépendance réelle d’esprit, et de pénétration dont il a fait preuve dans ces Études sur le XIXe siècle.


F. BRUNETIERE.