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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 96.djvu/758

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de plus larges emprunts, est due à un Hollandais, M. Busken-Huet, qui n’a survécu que peu de temps à l’achèvement de l’ouvrage. Son titre seul : le Pays de Rembrandt, nous prouve que dans la pensée de l’auteur l’art de sa patrie ne pouvait être séparé du mouvement général de son histoire. Telle était déjà d’ailleurs l’opinion du regretté Vosmaer dans son Rembrandt, et, en cherchant à replacer le maître dans son vrai milieu, il s’était appliqué à mettre mieux en relief l’originalité de son génie. Amené par nos propres études sur Rembrandt à profiter de tous les travaux de nos devanciers, il nous a paru intéressant de relever ici quelques-uns des traits les plus saillans qu’un grand nombre d’informations nouvelles nous ont offerts sur la vie et les mœurs en Hollande, à l’époque où le jeune artiste allait quitter Leyde, sa ville natale, pour se fixer à Amsterdam, alors dans tout l’éclat de sa prospérité.


I

A voir la situation d’Amsterdam se déployant en éventail en face de la mer, son vaste port, ses canaux concentriques, qui la mettent en communication avec le reste du pays, on sent que c’était là une place marquée d’avance pour une ville dont le commerce allait s’étendre au monde entier. Cependant, les commencemens de cette Venise du Nord ont été bien modestes et ses accroissemens marqués par une lutte persistante contre des difficultés de toute sorte. Pendant longtemps, simple bourgade de pêcheurs dispersés sur les îlots que forment les alluvions de l’Amstel, elle demeure comme un des témoignages les plus significatifs de cette industrieuse intelligence et de cette ténacité héroïque auxquelles la Hollande elle-même doit sa naissance, sa conservation et sa grandeur. On a souvent comparé ce pays à une immense place forte, créée par l’homme, incessamment défendue par lui contre des ennemis toujours menaçans, conjurés entre eux afin de la surprendre et de l’anéantir. Toutes les forces de la nature semblent, en effet, coalisées ici pour une œuvre de destruction. C’est la mer dont le niveau, sur une grande étendue de cette contrée, est supérieur à celui de la terre qu’il faut protéger contre ses assauts furieux. C’est cette terre elle-même, friable, sans consistance, délayée par le courant des fleuves, minée par la couche profonde des eaux. C’est le vent qui du large souffle presque sans relâche et sans obstacle, qui soulève et disperse le sable des rivages à travers les vastes solitudes de la dune, tandis que plus loin il ploie violemment les arbres sur son passage et tord ou arrache leurs ramures convulsées.

Le Hollandais a triomphé de tous ces ennemis ; biaisant avec eux ou les attaquant de front, leur cédant sur un point pour accumuler