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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 96.djvu/785

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Hollande à cette époque. Jamais, en aucun lieu du monde, on n’arriverait au total qu’ils ont atteint dans ce petit pays. Toutes les classes, toutes les professions figurent dans cette vaste iconographie, et ce qui peut servir à caractériser les modèles, leurs goûts, leurs occupations y est soigneusement noté, mis en lumière. Il ne faut pas qu’on puisse avoir la moindre incertitude à cet égard. Le marchand, assis à son comptoir, est entouré de ses livres de compte ; le calligraphe, en face de son papier, taille sa plume ; l’ingénieur ou le constructeur de navires sont occupés à tracer leurs plans ; l’architecte tient une équerre à la main ; à côté de l’orfèvre se voient des ouvrages sortis de son atelier ; le prédicateur appuie de son geste ses argumens théologiques ; l’amiral exerce son commandement sur son vaisseau, et une des batailles navales auxquelles il a pris part sert de fond au tableau. Le plus souvent encore ces portraits ne sont pas isolés ; ceux des femmes font pendans à ceux de leurs maris ou bien les deux époux sont ensemble sur la même toile comme pour témoigner de l’union du ménage. Parfois même toute la famille est groupée autour des parens, les enfans mariés avec leurs compagnes, d’autres dessinant ou faisant de la musique, les plus jeunes avec leurs jouets. A l’occasion et afin de compléter la ressemblance, la nourrice du dernier né ou quelque vieux serviteur dont les cheveux ont blanchi au service de la famille, prennent place à côté d’elle, dans le salon qu’elle occupe ou dans la campagne, en vue du domaine qui lui appartient. Avec plus ou moins de goût dans l’ordonnance, l’image du moins est très sincère, très exacte et d’une vérité absolument irrécusable.


V

On le voit, cet art est bien la représentation fidèle de la nation et de sa vie, et ses peintres en ont traduit avec une fidélité scrupuleuse les différens aspects. Nous avons montré ici même[1] qu’il serait possible de constituer avec leurs œuvres et celles de leurs graveurs les élémens d’une histoire figurée où tous les événemens un peu saillans seraient retracés. On sait aussi que chez ce peuple, où l’esprit d’association a tenu une si grande place et fait de si grandes choses, les toiles importantes exécutées pour les salles de réunion des diverses corporations forment en quelque sorte une suite ininterrompue de documens officiels où l’on retrouve le passé de chaque ville, le souvenir de ses institutions et des hommes marquans qu’elle a produits. Les artistes, d’ailleurs, n’avaient plus d’autres patrons que les municipalités ou les particuliers. Avec la disparition du clergé catholique, les commandes

  1. Voir, dans la Revue du 15 août 1886, Van Mander et son Livre des peintres.