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A l’intérieur le parti catholique, les prêtres, les moines, s’appuyaient sur lui, et il n’avait d’autres adversaires que les adversaires de la reine mère, les princes, les rebelles, Condé, Bouillon, Mayenne, Vendôme, qui recherchaient l’appui du parti huguenot, des princes d’Allemagne, de la Hollande, de la Savoie, de Venise, en un mot, de tout ce qui, au dedans ou au dehors, était engagé dans la lutte ouverte contre la maison d’Espagne.

D’autre part, on ne pouvait oublier les vieilles traditions qui poussaient invinciblement les « bons Français » à résister à la domination espagnole. Cette politique était considérée, non seulement en France, mais en Europe même, comme une maxime d’Etat. On constatait, comme un fait, « la contrariété d’humeur qui existait entre la nation française et l’espagnole. » « Il faut, dit Rohan, poser pour fondement qu’il y a deux puissances dans la chrétienté qui sont comme les deux pôles desquels descendent les influences de la paix et de la guerre sur les autres Etats, à savoir, les maisons de France et d’Espagne. Celle d’Espagne, se trouvant accrue tout d’un coup, n’a pu cacher le dessein qu’elle avait de se rendre maîtresse et de faire lever en Occident le soleil d’une nouvelle monarchie. Celle de France s’est incontinent portée à faire le contrepoids. Les autres puissances se sont attachées à l’une ou à l’autre selon leurs intérêts. » La situation que Rohan exposait avec la clarté et la force de son esprit, tout le monde la considérait comme fatale, et la subordination complète à la maison d’Espagne eût été pour les ministres français une honte qu’aucun d’eux n’eût acceptée d’un cœur léger.

Quel embarras pour un ministre jeune, arrivé aux affaires par la faveur des Concini et de Marie de Médicis, familier intime de l’ambassade d’Espagne, pour un homme qui, par ambition ou par conviction, s’était prononcé publiquement, dix-huit mois auparavant, en faveur des alliances espagnoles, pour un prêtre que l’éclat des grandes dignités ecclésiastiques attirait, et qui, avant tout, voulait rester digne de la confiance que Rome et le nonce ne cessaient de lui témoigner !

Au moment où il réfléchissait encore sur le meilleur parti à prendre, ou peut-être tout simplement sur le meilleur moyen de se tirer d’affaire, sa politique se trouvait brusquement engagée en dehors de lui. Le gouverneur du Dauphiné, Lesdiguières, franchissait les Alpes, et répondait, par une démonstration militaire, à l’appel du duc de Savoie.

Il fallait l’état de désorganisation profond où était tombé le royaume pour que de pareils faits fussent possibles. Un gouverneur de province, ayant sa politique extérieure à lui, se décidait