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matin l’empereur et me transmettrait aussitôt sa décision. D’après les dispositions que j’ai remarquées chez le chancelier, j’espère pouvoir vous faire connaître demain la reconnaissance officielle et écrite de notre nouveau gouvernement. »

Le 21, nouveau télégramme, ainsi conçu :

« Le prince Gortchacow vient de me faire savoir que, d’après les ordres de l’empereur, il avait chargé M. Okouneff de reconnaître notre nouveau gouvernement, et d’entrer en rapports officiels avec lui. Il a également informé de cette décision les représentans de la Russie auprès des grandes puissances. »

Enfin, le 22 j’expédiai le télégramme suivant :

« Le chancelier m’a chargé officiellement de vous dire que, bien que l’empereur fût décidé à reconnaître tout gouvernement qui émanerait librement en France de la volonté nationale, il l’avait fait avec plus d’empressement encore, par la considération que M. Thiers était chargé du pouvoir. »

Cependant une semaine s’écoula, avant que le Messager officiel ne mentionnât cette reconnaissance. Je dus le remarquer et en faire l’observation discrètement, mais avec fermeté, d’autant plus qu’il m’était revenu que la légation prussienne avait essayé quelques tentatives pour retarder cette notification, et disait sous-main qu’on ne se presserait pas à Saint-Pétersbourg. Le chancelier fit droit immédiatement à ma demande, et M. de Westmann m’en informa de sa part par un billet qu’il m’écrivit le 16/28 février.

Cette question de la reconnaissance officielle du nouveau gouvernement de la France n’était pas sans importance, surtout en ce moment. On se rappelle les difficultés que le second Empire avait rencontrées, au moment de son avènement, de la part des trois puissances du Nord et qui provenaient surtout de l’empereur Nicolas[1]. Si elles s’étaient renouvelées en 1871, elles auraient eu des conséquences plus graves, en rendant la paix très difficile. La tâche de M. Thiers et celle de l’Assemblée nationale étaient des plus pénibles. Pour signer une paix désastreuse comme celle qui allait nous être imposée, ce n’était pas trop que le mandat de nos représentai et celui du chef du pouvoir exécutif ne pussent être contestés ni au dedans, ni au dehors. L’Europe, qui n’était pas intervenue en notre faveur pendant la guerre, nous aurait accablés, sans aucun profit pour elle, par l’expression d’une méfiance impolitique et hostile. C’était aux représentais de la France à se demander si le pacte de Bordeaux suffisait aux exigences de notre situation intérieure ; mais l’étranger n’avait rien à y voir, et les agens diplomatiques de la France ne pouvaient avoir d’autre souci

  1. Tout le monde sait aujourd’hui qu’elles furent une des principales, sinon la principale cause de la guerre de Crimée.