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témoigna-t-elle sa satisfaction de l’entrée de l’armée de Versailles à Paris. Le sentiment général était bien résumé dans ce mot que m’écrivait un haut fonctionnaire russe le 28 mai : « La victoire de l’ordre en France, me disait-il, en est une pour la civilisation du monde. Je m’y associe de tout cœur comme homme, comme Européen, et comme Russe. »

La reconstitution en France des pouvoirs publics devait amener comme contre-coup la réorganisation entière du corps diplomatique français. M. le duc de Noailles étant revenu sur son acceptation première, le choix du gouvernement pour le remplacer comme ambassadeur se porta sur M. le général Le Flo, ministre de la guerre, qui avait déjà été envoyé en Russie en 1850 avec le titre de ministre plénipotentiaire. L’Empereur, qui était alors grand-duc héritier, se rappela fort bien avoir connu le général à cette époque et le prince Gortchacow m’écrivit que, tout en regrettant sincèrement que M. le duc de Noailles n’eût pu venir à Pétersbourg, son successeur serait agréé avec empressement. On sait les bons services qu’il rendit à la France pendant sa mission qui dura plus de sept ans et les regrets qu’il laissa en Russie après son départ.

En même temps, le traité définitif de paix ayant été signé le 14 mai à Francfort, se posait la grosse question de la reprise de nos rapports diplomatiques avec l’Allemagne. Dans la situation qui nous était faite, et les troupes allemandes devant occuper notre territoire jusqu’au payement intégral de la contribution de guerre, il fut reconnu, de part et d’autre, impossible d’accréditer des ambassadeurs, jusqu’à ce que les relations entre les deux pays eussent repris assez de consistance pour permettre leur rétablissement. On convint donc entre les cabinets de Versailles et de Berlin d’envoyer de simples chargés d’affaires qui, ayant un rôle plus modeste, éviteraient les embarras que des personnalités plus en vue auraient pu amener.

La pensée était sage ; mais, si le rôle du chargé d’affaires allemand était difficile, celui du chargé d’affaires français devait l’être bien davantage, dans les circonstances où il allait se trouver placé.

L’Allemagne fit choix du comte de Waldersee, actuellement feld-maréchal. Cet officier supérieur, dans la pensée du prince de Bismarck, avait en réalité une mission plus militaire que diplomatique. Il était surtout chargé de surveiller l’exécution du traité de paix, au point de vue militaire, et de signaler à Berlin les moindres infractions aux stipulations convenues. Le choix de M. Thiers se porta sur moi ; mais, comme on comprenait à