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eau qui ne convient pas à mes facultés, je me retire de la scène. » Il ajouta en remettant sa démission entre les mains de l’archiduc Louis : « Si les empereurs disparaissent, c’est lorsqu’ils désespèrent d’eux-mêmes. » Peu après il était obligé de quitter Vienne et de traverser en fugitif, presque en malfaiteur, cette Allemagne qu’il avait si longtemps conduite en maître. Il rejoignait Guizot à Londres, où Palmerston les reçut tous les deux avec une narquoise courtoisie. Selon la coutume logique, le soulèvement contre le ministre était bientôt suivi de la rébellion contre le souverain ; une révolution éclata à Vienne, et la famille royale dut se réfugier à Inspruck (15 et 26 mai).

De Vienne, le mouvement se propagea jusqu’aux extrémités de la monarchie. En Hongrie, le meneur éloquent du parti radical obtenait de la Diète une sommation à l’empereur de transférer la Diète de Presbourg à Pesth, d’accorder la garde civique, un ministère hongrois responsable devant la Diète (17 mars). La sommation est accueillie. Batthyany forme le premier ministère hongrois (23 mars). Malgré la violente lutte qui avait séparé Szechenyi, chef de l’opposition constitutionnelle, et Kossuth, coryphée du parti révolutionnaire, Batthyany les réunit dans son ministère, et il demande à Deak, qui en combattant les idées de Kossuth avait été le modérateur des colères de Szechenyi, d’entrer aussi dans son gouvernement afin d’y continuer son rôle de conciliateur. Malgré sa vive répugnance, Deak se décide à occuper le ministère de la justice. Il s’y signalait aussitôt par l’élaboration d’un remarquable code pénal.

La Bohême ne restait pas tranquille. Conduite par Palacky, elle réclame un ministère responsable siégeant à Prague ; elle s’oppose à une fusion quelconque avec l’Allemagne, l’Autriche ne doit pas se faire allemande ; il faut qu’elle reste une confédération de peuples, slaves surtout, faisant tête au panslavisme russe. « De tous les peuples situés au sud de l’Europe orientale, il non est pas un seul qui puisse résister à l’envahissement des Russes, si un lien vigoureux ne les unit en faisceau. La grande artère de ces peuples, c’est le Danube ; la puissance chargée de régir cette confédération ne saurait donc s’éloigner de ce fleuve sans s’affaiblir elle-même et compromettre sa tâche. »

Milan aussi s’était insurgé. Après cinq journées de lutte (18, 19, 20, 21, 22 mars), le maréchal Radetsky évacuait la ville, puis la Lombardie. Venise se proclamait en république sous la direction de Manin, délivré de sa prison par le peuple (22 mars). Parme et Modène limitaient, Brescia se soulevait.

Palmerston dissuade Charles-Albert d’aller au secours de la Lombardie, le pousse à se rapprocher de l’Autriche afin d’aviser