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mais nul endroit au monde ne se prête mieux à l’exercice du talent inné de leur race pour les affaires ; ils commencent par faire toutes sortes de petits métiers, sont même parfois cochers de fiacre, emploi généralement abandonné aux gens de couleur, mais s’élèvent rapidement plus haut.

Les autres peuples, à l’exception des Italiens assez nombreux, ne sont représentés chacun que par quelques centaines d’individus : Français, Suisses, Belges, Danois, Suédois, Norvégiens et autres exercent des professions très diverses et se trouvent dans toutes les classes de la société.

Le caractère essentiel de toute cette immigration est d’être urbaine et temporaire. Les étrangers habitent presque tous dans les centres miniers ou parcourent les régions aurifères encore mal connues de l’est et du nord du Transvaal à la recherche de nouveaux filons ; il n’y en a pas un sur mille qui se livre à la culture proprement dite, à peine quelques maraîchers aux environs de Johannesburg. Le gouvernement ne vend pas de terres, il est vrai ; mais il existe de grandes compagnies foncières qui se déferaient volontiers des terres qu’elles possèdent à des prix abordables ; mais tous ces immigrans sont venus ici pour faire fortune rapidement et ont l’intention arrêtée de s’en retourner dans leur pays sitôt qu’ils seront riches. Des blancs employés dans les mines, presque aucun n’a de famille, ou du moins ceux qui en ont une ne l’ont pas amenée ; il en est de même des ouvriers d’art des villes. Les hommes d’affaires, les financiers qui forment la classe supérieure se font sans doute construire des maisons à Johannesburg et y amènent leur famille ; mais, dès que leurs enfans ont grandi, ils les font le plus souvent élever en Angleterre et eux-mêmes s’y rendent fréquemment ; ils savent que, lorsqu’ils le voudront, ils pourront aisément se défaire de leur installation au Transvaal et le quitter pour toujours. Ce n’est guère que parmi les petits et moyens commerçans qu’on trouve des hommes établis au Transvaal avec toute leur famille et comptant y demeurer.

Pourquoi, d’ailleurs, les rois des mines d’or, ou ceux mêmes qui n’ont conquis au Transvaal que l’aisance, y resteraient-ils ? Johannesburg ne se prête guère à un grand étalage de luxe ; les distractions y sont rares ; le séjour n’en a rien qui puisse satisfaire la vanité d’un parvenu. D’autre part, ceux qui n’ont amassé qu’une fortune plus modeste peuvent en jouir bien moins à Johannesburg que partout ailleurs, à cause de la cherté de tout ce qui sort du cadre des objets de première nécessité[1]. Il est impossible

  1. Il ne faut pas s’exagérer toutefois le prix de la vie à Johannesburg. La viande de bœuf ou de mouton, médiocre il est vrai, et de même les effets d’habillement communs ne sont pas très chers ; mais toutes les denrées et tous les objets de luxe, de même que les légumes frais, certains fruits et les œufs, se payent à des taux exorbitans. Dans les meilleurs hôtels de Johannesburg, on paie 15 francs par jour, nourriture comprise, et 75 à 80 francs par semaine si l’on reste plus de quelques jours, ce qui est beaucoup moins qu’en Amérique et ne dépasse pas les prix de l’Australie. Le service y est, il est vrai, encore beaucoup plus mal fait.