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de la compagnie, puis s’ils accepteraient d’aller au secours des femmes et des enfans, qui ne coururent pas un instant le moindre danger. Ils acceptaient sans peine de prendre ces engagemens ; mais lorsqu’on leur fit entendre qu’il pourrait convenir, pour déjouer les projets du gouvernement, de prendre l’initiative de l’attaque, plusieurs refusèrent ; ils furent aussitôt renvoyés.

Quelques tentatives de conciliation furent encore faites par les modérés. Les commerçans de Johannesburg avaient formé une Union pour défendre leurs propriétés en cas de désordres, se séparant des d’auteurs d’insurrection ; ils envoyèrent au président quelques-uns des leurs pour le prier de faire des concessions ; les Américains firent de même. M. Krüger consentit à suspendre les droits d’importation sur les denrées alimentaires, ce qu’il fit par décret paru le 31 décembre. Leurs autres réclamations, déclara-t-il, seraient examinées avec bienveillance et soumises au Volksraad qui allait se réunir dans une quinzaine. Le président ne pouvait, certes, céder à des demandes faites les armes à la main ; néanmoins, sa réponse fut jugée insuffisante à Johannesburg : les modérés s’effacèrent, comme toujours en pareille circonstance ; plusieurs d’entre eux croyant que le mouvement allait triompher s’y joignirent. Quant aux Américains, un bon nombre d’entre eux avait déjà dû se rallier au comité de réformes pour conserver leurs positions au service des compagnies minières : les autres restèrent jusqu’à la fin de la crise spectateurs des événemens, sans pouvoir se décider à prendre un parti.

Cette révolution tint quelque peu du vaudeville. Chaque partie de l’empire britannique était représentée par un corps particulier avec un brassard et une cocarde pour le distinguer des autres : les Écossais, les Gallois, les Anglais des comtés du nord, ceux du sud, les Irlandais, les Australiens, les Afrikanders. On les voyait traverser la ville pour aller chercher des armes au siège du comité, puis s’en revenir en rang et faire des tentatives d’exercice sur la place du Marché ou quelque autre endroit découvert. Mais c’était surtout la cavalerie qu’il fallait voir : tous les jeunes gens de Johannesburg en faisaient partie ; coiffés d’un sombrero au bord gauche relevé, la vareuse serrée à la ceinture, de hautes bottes jaunes resplendissantes aux jambes, d’immenses éperons aux talons, le fusil en bandoulière, ils galopaient à travers les rues, sans autre nécessité que de faire admirer leur belle mine de casseurs d’assiettes. Tous ces fringans cavaliers qui parlaient ainsi en campagne sans rien emporter d’autre que quelques cartouches, avec leurs grands cols blancs irréprochables, leurs beaux vêtemens et leurs chevaux habitués a l’avoine, qu’ils commençaient par fatiguer à plaisir, : caracolant à travers la ville, n’avaient aucune idée