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détourner les yeux des scènes de désolation, de vengeance, de férocité que provoque l’amour. Il trouvait enfin, dans ses propres aventures de jeunesse, la trace encore vive d’une passion dont l’héroïne avait souffert affreusement et par laquelle il s’était laissé émouvoir durant quelques jours, comme il convenait à un poète de cour, épicurien et bucolique, curieux de placer, dans le cadre virgilien de Naples et de Baïa, un roman pathétique, la douleur d’une maîtresse perdue au fond de ses souvenirs.

C’est une histoire très simple que cette Élégie de Mme Fiammetta, dédiée par elle-même aux dames amoureuses. Elle ne veut pas que son livre tombe aux mains des jeunes hommes, qui ne feraient que rire de sa peine. Pour les femmes seules, qui la comprendront, elle a recueilli « les larmes de misère, les violens soupirs, les voix plaintives, les pensées tempétueuses qui lui ont enlevé le sommeil, la joie des beaux jours, l’amour de toute beauté. » Fiammetta était mariée, et fut longtemps « contente de son mari, tant qu’un amour furieux, avec un feu jusqu’alors inconnu, n’entra pas dans son jeune cœur. » Un jour, dans une église, — que le lecteur se rappelle les sages avis de Barberino sur le danger des églises trop souvent hantées, — elle aperçoit un beau jeune homme qui la regardait, tout le long de la messe, appuyé à une colonne : il avait une barbe frisée d’adolescent et semblait lui dire : « Ô femme, tu es notre seule béatitude ! » Elle eut quelque peine à ne point lui crier : « Et vous êtes la mienne ! » Fiammetta était foudroyée par l’amour. Elle ne pense plus qu’au jeune inconnu, le cherche dans Naples, se consume en d’ardens désirs : elle le découvre enfin et le possède. Bonheur éphémère. Une nuit, Panfilo déclare que son père le rappelle impérieusement. Et lui, fils excellent, il veut obéir à son père. D’ailleurs, l’absence sera courte, il le jure. Mais déjà la jalousie a mordu Fiammetta : si, loin d’elle, il en aimait une autre ! « alors mêlant ses larmes aux miennes et pendu à mon cou, tant son cœur était lourd de chagrin, Panfilo se lia par les plus doux et les plus saints sermens. Je l’accompagnai jusqu’à la porte de mon palais, et, voulant lui dire adieu, la parole fut ravie à mes lèvres et le ciel à mes yeux. »

Elle l’attendit, impatiente, pleurant, baisant ses gages d’amour, relisant ses lettres, « cherchant encore sur sa couche à étreindre l’ombre de Panfilo. » Mais l’amant ne revint plus. Le fourbe, dit-on un jour à Fiammetta, s’était marié. Elle éclate en sanglots, en imprécations ; puis, brisée, elle se crée un fantôme d’espoir, se dit que ce mariage a peut-être été forcé, qu’elle le reverra bientôt. Et l’Italienne court à l’église, se jette aux pieds du Dieu « qui s’est livré pour le salut du monde », le supplie de mettre un terme