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intervention est aussi miraculeuse que terrible. Il assommera les esclaves du tribun, alors que, par ordre de l’empereur et de Poppée, ils entraînent la vierge captive vers la demeure de leur maître ; il étranglera l’athlète Groton que soudoie l’or de Vinicius, et qui vient relancer Lygie jusque chez les chrétiens, où elle a trouvé un refuge ; il terrasse dans l’arène le taureau furieux, aux cornes duquel César a fait lier le corps de sa maîtresse ; — mais, chien fidèle et tendre, il vivra et mourra à leurs pieds, quand Vinicius et Lygie, époux chrétiens, iront, après tant de dangers et d’épreuves, abriter leur bonheur au fond de ces radieuses campagnes siciliennes, où fleurissent les bois d’amandiers, et où, sur les coteaux parfumés de thym, butinent les ruches d’abeilles.


II

C’est donc par Vinicius et Lygie, les héros du drame, pour employer l’expression consacrée, que je me propose de commencer mon analyse. Aussi bien, sont-ce là les figures les plus attachantes du livre, celles qui remuent en nous les fibres les plus intimes du cœur ; qui nous arrachent des larmes d’attendrissement et de pitié, Lygie est comme une Psyché chrétienne, charmante et pudique. Parée de grâce, d’innocence, de modestie, elle est l’image de l’amour, dans son acception la plus délicieuse et la plus suave.

Puis à côté de cette radieuse figure de vierge, voici le type parfait du soldat et du patricien. D’un bout à l’autre du récit, le caractère de Marcus Vinicius se développe, se transforme, s’élève, s’idéalise. Son âme est le terrain préparé pour la semence du bon grain. La vérité une fois entrevue, ce loyal soldat de César deviendra l’invincible champion du Christ. Son amour, jusque-là fait d’orgueil, de brutalité de concupiscence, s’épure sous le souffle ardent de la charité : désormais il aimera l’âme. Et cet affranchissement des appétits et des passions, cette ascension graduelle vers les hauteurs sublimes du dévouement, du sacrifice, de L’oubli de soi-même, sont les traits qui, entre tous, nous touchent et nous réconfortent.

La tendresse de Vinicius et de Lygie est si absolue, si profonde, si pénétrante, qu’elle fond pour ainsi dire leurs êtres en une seule entité d’amour, et que parler de l’un d’eux, c’est aussi tracer le portrait de l’autre. Mais l’amour, sur cette orgueilleuse