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Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 161.djvu/715

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intention hostile à son propre gouvernement. Ils ont raison sans doute. La presse indépendante et libérale n’a jamais dit que M. Loubet ait voulu se séparer publiquement de ses ministres, et encore moins de les désavouer. Mais qu’il ait voulu s’en distinguer, c’est ce qu’on ne saurait contester non plus. Son discours a été un discours présidentiel et non pas un discours ministériel : c’est en cela qu’il a plu.

Un passage en a beaucoup frappé : c’est celui où M. Loubet a parlé, en termes un peu voilés, mais pourtant assez clairs, de la possibilité de réviser la Constitution. On ne s’attendait pas à ce que M. le Président de la République prît lui-même cette demi-initiative, et la discrétion avec laquelle il l’a fait n’a rien enlevé à la netteté de l’intention. Ce n’est pas le moment de nous prononcer sur la révision : en principe, elle nous laisse sceptique. Croyant infiniment peu à la vertu de la lettre écrite en matière constitutionnelle, l’importance d’un article mis à la place d’un autre ne nous touche pas beaucoup. On pourrait les changer tous, ou presque tous, sans avoir rien fait d’utile, si on ne changeait pas en même temps les circonstances, les mœurs et les hommes. La France est le seul pays du monde qui fasse et refasse indéfiniment des constitutions ; elle ne s’en porte pas mieux. C’est un remède dont l’efficacité n’a pas été démontrée par l’expérience : mais, comme il inspire encore confiance à beaucoup de nos compatriotes, et même aux plus distingués, nous n’en voulons pas trop médire. Il serait d’ailleurs cruel de leur enlever cette espérance sans en avoir une autre à leur offrir. Pour en revenir à son discours, M. Loubet ne s’est pas expliqué sur la manière dont il entendait éventuellement qu’on révisât la Constitution, et nous ne nous chargeons pas de pénétrer sur ce point toute sa pensée. M. de Vogué a écrit autrefois, dans cette Revue, un article que nous n’avons pas oublié, en vue de prouver, — et il l’a prouvé avec évidence, — qu’il y avait dans la Constitution actuelle des ressources nombreuses dont on n’avait encore fait aucun usage : peut-être suffirait-il de les mettre en œuvre pour donner une allure imprévue à l’activité du mécanisme constitutionnel. Sans nier qu’au train dont marchent les choses, la révision puisse tout d’un coup, à un détour du chemin, s’imposer à nous comme une fatalité inéluctable, nous aimerions qu’on fît un essai complet de notre Constitution avant de s’occuper à la changer. L’opération aurait quelque chose de plus simple, et qui sait si elle ne nous dispenserait d’en poursuivre une autre, qui ne serait ni sans difficultés, ni sans périls ? M. Loubet a d’ailleurs parlé très sensément. Le monde contingent où nous vivons ne comporte rien d’absolu, et