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nistre de l’Intérieur, elle fût tirée de l’arsenal. La monarchie de Juillet, qui n’en usa pas, eut le tort de croire à la désuétude : c’est l’illusion et la faute des gouvernemens honnêtes. L’Empire s’en servit largement, mais, grâce au silence universel, il n’en resta nulle trace : seuls, les magistrats se souviennent que, parmi les envois quotidiens de détenus arrêtés par la Préfecture de police, ils en trouvaient dont l’arrestation remontait à quatre, cinq, dix et vingt jours, toute une information ayant été conduite après les arrestations par l’initiative des commissaires. Mais l’arbitraire n’émeut personne, — c’est, il faut le reconnaître, une faiblesse de tous les temps, — lorsqu’il porte sur les inculpés de délits de droit commun. Qui ne se souvient, au contraire, des fameuses saisies administratives contre lesquelles s’éleva la voix des Dufaure et des Berryer ? C’est en vertu de l’article 10 que les feuilles autographiées des Vues sur le gouvernement de la France, par le duc de Broglie, étaient confisquées en 1861. C’est en vertu du même texte que les exemplaires de l’Histoire des Princes de Condé au XIVe siècle étaient emportés et conservés pendant quatre ans dans les caves de la Préfecture de police, malgré les réclamations du Duc d’Aumale.

Nos querelles politiques, depuis trente ans, ont fait rentrer en scène l’article 10. Les journalistes en ont éprouvé les rigueurs sous le Seize-Mai : la période de l’exécution des décrets de 1880 a donné lieu à des incidens ; puis, tout d’un coup, après de longues années d’oubli, en 1899, en pleine paix, nous voyons le gouvernement faire, en un moment d’affolement, un usage désordonné de ses pouvoirs de police. Le 25 février 1899, il multiplie les visites domiciliaires, pratique des perquisitions, fait des saisies de papiers (voir le Temps du 27 février), et ne saisit le parquet qu’à la fin de mars (le réquisitoire introductif est du 1er avril) ; puis, six mois après, quand il juge utile de reprendre l’affaire Déroulède, il ne s’adresse pas à la magistrature, qui, certes, ne refusait pas son concours, il ne demande pas au parquet de requérir des instructions. Ces moyens légaux sont à la portée des plus simples. Aux grands politiques conviennent les coups de théâtre. L’arbitraire, c’est son signe, se plaît aux mises en scène. Dans la même nuit du 11 au 12 août, par ordre de M. Waldeck-Rousseau, président du Conseil, les préfets, dans les départemens, et, à Paris, M. Blanc, préfet de police, font procéder à une série considérable d’arrestations et de perqui-