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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 16.djvu/664

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avec Sophie. Les lettres qu’il écrivait ainsi ont été détruites ; on a conservé celles de Sophie. M. Paul Cottin ne nous donne pas moins d’une centaine de ces lettres de Sophie de Monnier encore inédites, en partie chiffrées, et qu’il a, le premier, réussi à déchiffrer et lire entièrement. D’autre part, MM. Dauphin Meunier et Georges Leloir publient une autre série de lettres adressées par Mirabeau, pendant la dernière année de sa captivité, à Julie Dauvers, et auxquelles ses précédens biographes n’avaient pas prêté toute l’attention qu’elles méritent. Ce sont des documens de premier ordre, qui renouvellent l’étude de Mirabeau homme privé et mettent dans un jour cru quelques-uns des traits d’une figure beaucoup moins énigmatique qu’on n’a coutume de la représenter.


I

Le premier effet en est de rendre toute sa valeur à un témoignage longtemps tenu pour suspect et qui est précisément celui du père de Mirabeau. Celui-ci n’a cessé d’étudier son fils, sans indulgence, assurément, mais avec la perspicacité d’une intelligence supérieure, de le peindre au jour le jour et de noter en toute franchise et crudité l’impression qu’il ressent à constater l’éveil des qualités d’esprit les plus rares et des instincts les plus alarmans. Il a ainsi refait cent fois le même portrait, et ces portraits diversement éclairés attrapent tous un coin de la ressemblance.

« Je crains toujours qu’il n’y ait bien du physique dans ses écarts, » dit le marquis, et il dit juste. Chez Mirabeau, il est clair qu’il faut d’abord tenir largement compte de la complexion et du tempérament. Ce colosse, vers la trentaine, est d’une sève à grandir encore de cinq pouces pendant les quarante-deux mois de sa réclusion. Le sang trop abondant lui fait continûment la guerre : en Hollande, au moment où il quitte Sophie, il laisse la voiture toute pleine de sang ; à Vincennes, le jour de sa sortie, il noie son lit d’une hémorragie par le nez. L’Hercule s’achève en satyre ; et si nous n’insistons pas sur ce que Lucas de Montigny, par un pieux euphémisme, appelle « le fatal phénomène de sa constitution physique, » encore devons-nous le noter, d’autant que c’est de toutes ses facultés celle dont il se montre le plus fier. Certes les sollicitations de la nature physique ne sont à