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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 16.djvu/944

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et quelque nourriture ; mais le noble, qui les prenait pour des vagabonds, les enferma au verrou dans une chambre vide, et alla consulter ses voisins pour savoir ce qu’il devait en faire. Cependant les frères, fatigués d’un long voyage, s’étaient étendus à terre et aussitôt endormis. A l’aube, quand ils se levèrent pour repartir, ils s’aperçurent qu’ils étaient prisonniers : et déjà une foule entourait la maison, demandant qu’on lui livrât les « brigands étrangers. » Enfin le magistrat du district vint trouver les prisonniers, et leur demanda s’ils étaient des espions, ou simplement des voleurs. Mais l’un des frères, prenant la corde qui lui servait de ceinture, la tendit au magistrat avec un sourire amical. « Si nous sommes des voleurs, dit-il, voici, en tout cas, une corde pour nous pendre ! » Cette plaisanterie, et l’air d’innocence des nouveaux venus, désarmèrent les soupçons. On rendit la liberté aux frères, et ceux-ci, chantant des cantiques à leur habitude pour apaiser leur faim, purent se diriger en paix vers Cantorbéry.

Là, ils se séparèrent en deux groupes. Quatre d’entre eux se remirent tout de suite en chemin pour aller à Londres ; les cinq autres se réfugièrent dans un hospice, en attendant d’avoir trouvé un logement. Ils trouvèrent ce logement, peu de jours après, dans une petite chambre dépendant d’une école. Toute la journée ils restaient enfermés dans la chambre, craignant l’hostilité évidente des habitans : car, à Cantorbéry comme à Douvres, clercs et laïcs se méfiaient également de ces étrangers mal vêtus. Mais le soir, quand les enfans de l’école étaient rentrés chez eux, les frères descendaient dans la salle de classe, y allumaient un feu de bois, et s’asseyaient à l’entour. « Et parfois, à la conférence du soir, ils mettaient sur le feu un petit pot rempli de lie de bière ; et ils plongeaient une écuelle dans ce pot, et buvaient chacun à son tour, tout en s’entretenant de quelque sujet d’édification. Et l’un de ceux qui ont eu le privilège de participer à ces repas a attesté depuis lors que, souvent, la bière était si épaisse qu’avant de mettre le pot sur le feu on était obligé d’y verser moitié d’eau. »

A Londres, les quatre frères s’étaient rendus d’abord au couvent des moines dominicains, où ils avaient reçu un excellent accueil. Ils y étaient restés quinze jours, « mangeant et buvant ce qu’on leur offrait, tout comme s’ils avaient été des membres de la famille. » Ils se louèrent ensuite une maison à Cornhill, dans un endroit appelé le Pré Puant, et s’y construisirent de petites cellules dont les murs étaient faits de boue et d’herbes sèches. Et bientôt deux d’entre eux, laissant à leurs deux compagnons le soin de travailler pour le Christ dans la capitale du royaume, se rendirent à Oxford, où, de même