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fanatisme du clergé renaît, la politique du gouvernement s’irrite, mais à froid, pour ainsi dire, et, semblerait-il par momens, contre son gré. Cette politique du gouvernement à l’égard des protestans se modifie assez pour que, dès les derniers temps de Richelieu, dès le ministère de Mazarin, on puisse prononcer le mot de persécution[1]. Parallèlement, l’attitude du grand public, de malveillante, se fait hostile ; l’attitude, naguère conciliante, des classes cultivées se modifie assez ou se laisse si aisément neutraliser que cette persécution recommencée paraît avoir l’approbation tacite et la muette complicité de la haute société. Il y a là, dans l’histoire religieuse du XVIIe siècle, un revirement étonnant, un changement difficile à comprendre, si l’on se borne à interpréter les événemens publics et connus, si l’on se contente de raisonner sur les acteurs visibles de l’histoire. Il en est tout différemment, si l’on peut conjecturer en cette affaire l’intervention souterraine et le travail latent d’une cause cachée, l’intrigue secrète d’un groupe d’hommes d’action, déterminés, habiles, méthodiques, capables à la fois de peser sur le gouvernement central et sur les pouvoirs publics provinciaux, capables, par l’entretien d’une sorte de fermentation combative, d’agiter sourdement et d’inquiéter l’opinion publique. À ce desideratum, que nous avions jusqu’ici dans l’histoire religieuse du XVIIe siècle, il faut convenir que la révélation de l’existence de la « cabale des Dévots, » avec son effectif d’hommes souvent remarquables, avec le mystère de son procédé, avec son ubiquité, sa police, ses « comités locaux de vigilance[2], » répond évidemment mieux et plus qu’on ne l’aurait pu souhaiter.

N’en abusons pas. N’allons pas, je le veux, jusqu’à faire remonter à elle, — et à elle seule, — la responsabilité lointaine de la Révocation. Ne disons pas que, sans elle, le gouvernement de Louis XIV n’aurait pas songé ou réussi à détruire les protestans. D’autres motifs, à partir de 1661 surtout, intervinrent, dont il faut tenir compte. Mais ce qu’il paraît bien que l’on puisse, sans injustice, imputer à la Compagnie, c’est d’avoir, non seulement ouvert, mais aplani les voies à l’œuvre de Louis XIV.

  1. Voir Moïse Amyraut, Apologie pour ceux de la religion, 1648 ; spécialement la Préface, où il étudie les motifs d’animosité que le public croit avoir contre les protestans ; Drelincourt, Avertissement sur le procédé des missionnaires, 1664 ; et Arnaud, Histoire des Protestans du Dauphiné.
  2. Allier, p. 309.